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L'AUTEUR DU TEXTE
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Jean-Paul Robert
Maître d’adaptation, formateur IUFM, membre du Groupe français d'éducation nouvelle (GFEN).


« Eh, dites-moi ce qu’ils ont appris là ? »
Brève réponse irritée à une niaiserie pédagogique


« Eh, dites-moi ce qu’ils ont appris là ? » Cette question est posée souvent par qui inspecte, contrôle, évalue, mesure, note ou valide (rayez la mention inutile ou rajoutez d’autres verbes synonymes de pouvoir ou plutôt d’illusion de pouvoir) dans l’Éducation nationale. Il me semble qu’elle appelle deux réponses essentielles, l’une concernant la posture de ceux qui la posent, l’autre le fond théorique du questionnement.

Voyons d’abord la posture. Je suis à peu près persuadé que dans les écoles d’inspecteurs, des Charlemagne de pacotille répètent cette question à leurs missi dominici, dopés à la DRH attitude et aux pratiques managériales. Pourquoi ?
Tout simplement parce qu’elle fait partie de l’attirail du pouvoir symbolique au même titre que la crête du coq ou les barrettes sur les épaules des militaires. Elle met en demeure à qui la question est posée de s’expliquer et de s’expliquer dans l’immédiat. Et les mots pour le dire changent tout. « Eh, dites-moi ce qu’ils ont appris là ? » et non comment ils ont appris là. Il s’agit de mettre le questionné en mesure de répondre sur les résultats de son action et non sur les moyens mis en œuvre pour la réaliser.
C’est cohérent avec la pédagogie des causes mise en oeuvre au pas de charge actuellement : évaluation, détection, remédiation (et non re médiation) ; dieu que la segmentation de la langue écrite est importante !
Cela ne l’est pas avec les valeurs que je défends pour promouvoir une pédagogie des conditions (pléonasme ?).
C’est cohérent avec les nouvelles lois qui gravent dans le marbre l’obligation de résultats. Certes, on est en droit de l’attendre de son garagiste, de son plombier ou de son boucher, soit dit sans irrespect pour ces nobles métiers, mais enfin, de ceux qui ont en charge de l’humain et de son devenir, on pourrait engager un peu plus de discernement.
C’est que sur cette question-là se joue du pouvoir, de la soumission
Étienne de La Boétie l’a montré en son temps (XVIe siècle) dans son Discours de la servitude volontaire. Il évoque la raison de la condition hiérarchique des hommes à qui l’on fait croire que cette domination est naturelle, qu’il en est ainsi et qu’on n’y peut rien changer. S’y rajoutent des mécanismes d’assujettissement comme l’admiration pour les marques du pouvoir, mais aussi la passivité et la résignation. D’où l’importance du rôle de l’assujetti dans son propre assujettissement :
S’ils sont grands c’est parce que nous sommes à  genoux, écrit-il.
Mais La Boétie met en exergue un autre point essentiel. Le tyran, pour assurer son pouvoir saura accorder des parcelles, des miettes de sa puissance à des clients, des partisans, des courtisans. Voilà un autre point essentiel, se soumettre procure des avantages.
D’où le rôle de ces hiérarchies intermédiaires dans l’agencement ordonné de la distribution du pouvoir.
Vigilance, donc ! Si vous entendez l’injonction « Eh, dites-moi ce qu’ils ont appris là ? » sachez que l’on ne vous pose pas une question pédagogique, ni même une question didactique, mais qu’on vous pose une question idéologique. Ce n’est d’ailleurs pas une question, c’est une façon de vous dire que vous êtes dominé institutionnellement, culturellement, que qui la formule vous suppose son inégal et fondamentalement n’a vraiment cure d’une réponse. À la limite, une marque de soumission l’apaiserait.
C’est un affront, c’est un déni d’égalité d’autant plus cruel qu’il n’est souvent pas conscientisé par ceux-là même qui le prononcent. Cela s’appelle de la toute-puissance et la toute-puissance est toujours fantasmée.

Mais ne pas répondre à cette injonction suppose aussi des arguments sur le fond.
C’est méconnaître simplement les mécanismes de l’apprentissage, c’est jeter aux orties la plupart des travaux de ces dernières décennies pour rester dans le strict domaine des recherches didactiques.
Ils nous montrent, ces travaux, que tout apprentissage est un processus qui nécessite une activité qui va mobiliser une appétence et qui va la mobiliser dans son déroulement même ; cette mobilisation n’étant pas un préalable, mais un résultat de l’activité proposée.
Ensuite, il semble qu’un apprentissage ne soit construit que dès lors qu’on a analysé l’activité qui en était la prémisse. Et cette analyse ne peut se faire qu’avec des mots, dits ou écrits, dits et écrits, parce que nous sommes des êtres de langage, nous sommes parlêtres comme le disait Lacan dans un de ses mots-valises.
Mais il y a plus : si ces conditions sont nécessaires pour apprendre, elles ne sont pas suffisantes.
La preuve : alors que ce joli agencement a été mis en oeuvre, certains encore n’ont pas appris, ou ne montrent pas, ou ne le disent pas, ou vous envoient vous faire foutre si on le leur demande, ou maintes situations encore que ceux qui liront ce texte auront éprouvées.
C’est que l’élève n’est pas seulement un sujet cognitif ; il est agi (parfois même agité) par un inconscient, un imaginaire forcément singuliers. C’est un sujet psychique.
C’est que l’élève a une histoire, pas des racines, ça c’est pour les légumes, mais une histoire. Elle aussi forcément singulière et on lui a raconté ou pas, au prisme des habitudes, coutumes, croyances des siens. C’est un sujet anthropologique.
C’est que l’élève a des mots, beaucoup ou peu, pour la dire et l’entendre, cette histoire, et que ces mots peuvent être redoutables s’ils ne sont que des mots de l’agir, de l’injonction en lieu de mots du pourquoi, du comment de la compréhension du monde. C’est un sujet narratif.

Alors quoi ? Eh, dites-moi ce qu’ils ont appris là ? La question est théoriquement viciée.
Et si l’on me presse d’y répondre je ne saurais dire que : qu’ont-ils appris, je n’en sais rien, mais ce que je sais c’est ce que je voulais leur faire apprendre et pourquoi, pour ce faire, j’ai mis telle ou telle situation en pratique. Et, pendant qu’ils faisaient, je les ai regardés faire parce que je les connais, qu’on s’est parlé et qu’ils m’ont dit leurs craintes, leurs joies, leurs projets ou qu’ils ne m’ont rien dit et que donc je ne peux que supposer parce que penser, je crois que je sais le faire, mais penser à la place des autres, j’ai perdu cette naïveté et renié cette arrogance.
Mais tout un pan de la pédagogie est infecté par cette question-là. C’est la question de la fabrication de l’élève ; si j’ai le bon outil, ça va marcher. Heureusement souvent ça marche. Mais quand se pose la question de la marge, de ceux avec qui le bel agencement se grippe (il paraît qu’ils seraient 15 %, simplement parce que les chercheurs à qui on avait demandé un travail sur la difficulté scolaire avaient arbitrairement choisi de travailler sur les 15% qui avaient les résultats les plus faibles. Imaginons qu'ils aient travaillé sur les 50% les plus faibles, l'éducation serait grande cause nationale et on aurait renforcé les Rased au lieu de les supprimer. Voilà où nous a amené la fainéantise des chercheurs déjà soulignée par M.Sarkozy) la réponse à chercher serait peut être autour de « qu’est-ce qu’ils m’apprennent puisqu’ils me font chercher ? »





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