Accueil

Biblio

Groupes PI

Le PIG

Liens

Monos

Publications

Stages de PI

Textes

Voisinage

Liaison Pédagogie Institutionnelle,
rééducation à l'école

La présence de deux rééducateurs de l'Éducation Nationale (maîtres titulaires CAPSAIS option G) dans le groupe Pédagogie Institutionnelle Gironde peut susciter certaines questions.
Pédagogie Institutionnelle et rééducation s'exercent pourtant dans une proximité manifeste, éthique et théorique.
Encore faut-il étayer une telle assertion !
Certains éclairages furent transmis lors des Rencontres de Toulouse des groupes PI du grand sud, en novembre 97, à l'occasion de la sortie de l'ouvrage "Intervenir en Réseau d'Aides Spécialisées aux Enfants en Difficultés, Histoire de Paul, Hugo et Pierre" (G. Hervé, préface Ph. Meirieu, A. Colin, 1997).

Voici le texte de cette intervention :

Introduction
Tout en parcourant quelques pistes relatives aux modalités d'intervention en RASED, je tirerai profit du cadre de cette intervention pour livrer des réflexions qui n'ont pas été développées dans mon ouvrage.
Je chercherai à repérer les ponts éthiques, méthodologiques qui sous-tendent mon abord du travail en RASED, de la rééducation et mon appartenance beaucoup plus ancienne au mouvement Pédagogie Institutionnelle.

1/ Définition d'un RASED (Réseau d'Aides Spécialisées pour les Élèves en Difficulté)
Le RASED est un dispositif d'actions en direction d'élèves en difficultés, actions menées par l'enseignant dans sa classe, les maîtres spécialisés, l'équipe de circonscription d'un secteur de collège (jusqu'à 15 écoles en secteur rural).
Conduire des actions impliquant un tel nombre de professionnels implique la mise en forme d'un cadre de fonctionnement opérationnel, c'est-à-dire, à mon sens, institutionnalisé.
Voilà repéré le premier pont entre RASED et PI : cette évidence si souvent laissée pour compte que l'efficacité d'un "projet d'actions" (pléonasme... mais combien de projets ne recèlent pas cette caractéristique minimale ?), l'efficacité d'un projet donc repose sur une organisation pensée, précise, évaluable.

Il ne saurait donc exister de RASED sans un projet de RASED qui définira :
 - des objectifs
 - les identités professionnelles et leur complémentarité
 - des modalités d'interventions
- la forme, la différenciation, la programmation des moments de concertations.
Sans une institutionnalisation minimale des interactions entre les divers partenaires, le RASED a peu de chance d'exister, de répondre à ses objectifs premiers d'aide aux élèves en difficulté. Ne subsiste alors qu'une juxtaposition d'actions, sans cohérence, " à la demande " comme on l'entend si souvent dire, paradigmes inefficaces aussi professionnels et pertinents soient-ils.

Concrètement, à l'issue de concertations en conseils de cycles, de maîtres, une première mouture de ce projet est proposée par les intervenants spécialisés à tous les partenaires. Une réunion rassemblant dans un second temps directeurs d'écoles, maîtres spécialisés, équipe de circonscription (à laquelle pourrait s'adjoindre selon les secteurs l'IEN spécialisé) aurait pour objet d'étudier ces propositions, de les affiner jusqu'à une validation de type contractuel.

Le projet de RASED constitue alors le contenant de toutes les actions à venir : au lieu de perdre du temps à critiquer les dysfonctionnements ponctuels de tel ou tel réseau, de telle ou telle aide spécialisée, il conviendrait de s'interroger sur l'existence préalable d'un tel projet, sur son adéquation entre la réalité d'un secteur et ses objectifs, sur l'implication de chacun lors de son élaboration... En conséquence sur sa dimension institutionnelle, dans l'acception dynamique que les praticiens PI confèrent au quotidien à ce terme.

2/ L'identité professionnelle des maîtres spécialisés
Il faut définir les rôles, responsabilités, champs de compétence et d'intervention de chaque membre du RASED. Les Instructions Officielles (avril 90) suggèrent des définitions de ce type :
 - Les actions spécialisées du psychologue scolaire s'adressent à des élèves qui éprouvent des difficultés scolaires ou personnelles. Il met en place un dispositif d'actions en relation avec le milieu scolaire et des intervenants extérieurs si nécessaire. Les actions du psychologue scolaire occupent un champ étendu qui va de l'aide aux enseignants pour concevoir des aides mieux adaptées à l'examen psychologique de l'enfant pour trouver des remédiations pertinentes.

 - Les actions spécialisées du maître E s'adressent à des élèves qui éprouvent ponctuellement des difficultés scolaires, dans des domaines précis des apprentissages. Il leur présente ces contenus sous d'autres aspects, par d'autres voies que celles vécues en classe, dans le cadre de groupes restreints. Ces remédiations pédagogiques se distinguent donc très nettement de simples actions de soutien scolaire.

 - Les actions spécialisées du maître G s'adressent à des élèves qui éprouvent des difficultés d'adhésion en classe face aux apprentissages. Il convient de mettre en place un dispositif d'actions concertées entre famille, enseignant, rééducateur et enfant. Les actions rééducatives proposent alors un détour qui vise à conduire les enfants sur la voie des apprentissages, en restaurant l'estime de soi, le désir d'apprendre.

 - le rôle de l'enseignant dans le cadre spécifique du RASED : il propose les premières aides, a recours à des stratégies de différenciation pédagogiques, des stratégies évaluatives, participe à l'élaboration des projets d'aide.

 - Quant à l'IEN et les conseillers pédagogiques, le premier est responsable de l'organisation du réseau, de son évaluation, les seconds devraient essentiellement aider aux stratégies complexes de différenciation pédagogique (dans le cadre des actions RASED)

Ces identités professionnelles doivent être comprises par tous : pour justifier de ce qui est mis en oeuvre et, plus encore peut-être, pour justifier de ce qui ne l'est pas : par exemple le suivi d'un enfant qui relève explicitement d'aide à dominante pédagogique ne sera suivi ni par le psychologue scolaire, ni par le rééducateur si le RASED est incomplet, ne dispose pas de maître E. Cet exemple significatif peut conduire à diverses dérives sans l'institutionnalisation du RASED.

3/ L'intervention rééducative
Je développerai ce point précis dans la mesure où j'assure actuellement cette fonction dans un réseau de ZEP rural.
Mes positions en matière de rééducation s'enracinent dans l'éthique qui m'orienta dès ma première classe vers la PI.

 a/ Cette éthique est d'abord politique au sens presque littéral du terme : donner aux enfants la possibilité de devenir acteur, sujets dans un système scolaire (une société) où rien n'est vraiment organisé en ce sens. Placer l'enfant "au centre du système scolaire" (cf. loi d'Orientation 89, école structurée en Cycles) ne restera qu'une louable intention si rien n'est pensé et agi
- pour permettre à l'élève d'interagir sur ce système,
- pour lui permettre d'accéder à une certaine "clarté cognitive et affective" de sa réalité quotidienne.
Il s'agit en conséquence de placer ces enfants en position de moins subir, de conquérir une parcelle du pouvoir qui leur appartient de droit en tant que sujet.

Les enfants en difficultés sont souvent des enfants qui n'ont d'autres solutions que de refuser de s'engager dans un projet éducatif énoncé à l'extérieur d'eux, de leurs préoccupations, de leur désir (conflictuel par essence) de grandir. Ils s'engagent alors dans une dynamique de perte, perte d'eux-mêmes faute d'avoir pu trouver un sens à leur engagement.
C'est le cas de la plupart des enfants relevant de rééducation. Cette dimension, organiser le cadre éducatif pour permettre à des sujets d'advenir, me paraît définir pour partie la PI.

On trouve alors, en PI comme dans l'aide rééducative, des éléments matériels, des stratégies, une combinaison de liens symboliques qui concrétisent la volonté de l'enseignant. En clair, là encore, l'intention ne suffit pas, vous en savez quelque chose, il faut mettre en acte, permettre peu à peu à chacun de s'immiscer dans la réalité quotidienne de la classe par le biais de techniques, d'outils précis, contenants.

 b/ Ce versant politique ne peut suffire à définir l'intervention rééducative, comme la PI au demeurant. On touche là aux limites historiques de la pédagogie Freinet. Lorsque les frères Oury créent la PI et font scission avec le mouvement Freinet, ils prennent en compte une nouvelle dimension : la fonction omniprésente de l'inconscient dans la relation pédagogique, l'inconscient des élèves, l'inconscient du maître, les flux transférentiels et contre-transférentiels qui alimentent les interrelations. Des interactions fantasmatiques s'opèrent entre les sujets, entre les sujets et le savoir.

Dans une classe institutionnalisée, divers outils viennent médiatiser, trianguler ces interactions. Lorsque les élèves sont en mesure de nouer des relations progrédientes avec le savoir, avec le symbolique, tout se passe bien, une réelle dynamique est engagée. Dans les classes où rien n'est pensé en ce sens, les dysfonctionnements sont plus nombreux, régulièrement générateurs de difficultés scolaires (pour les élèves... pour les maîtres).

Reconnaître l'existence d'une dynamique intra-psychique propre à chaque sujet devient le second pôle identitaire de toute intervention rééducative. C'est une autre manière de signifier ce postulat freudien : " les conduites humaines, affectives et intellectuelles, sont intentionnelles et mues par le désir " (B. Gibello, " L'enfant à l'intelligence troublée ", Centurion Paidos, 1984). Après, il faut travailler (sur la théorie, sur soi également, j'y reviendrai en conclusion) pour comprendre comment tout se joue si mal pour certains enfants qu'aucune individuation ne peut advenir. Quelle que soit la pédagogie mise en oeuvre dans la classe, même si le recours à la PI évite bien des naufrages.

 c/ Le champ d'intervention de la rééducation.
Je pense qu'il est nécessaire pour certains enfants de recourir à un médiateur extérieur à la classe pour déjouer le déséquilibre intra-psychique qui les maintient en deçà de leurs potentialités, en deçà de leur désir de grandir, de leur désir de s'approprier les codes culturels proposés au quotidien.
Les conditions d'accès à ces codes couvrent un champ complexe : à ce jour, je situe l'intervention rééducative sur trois axes croisés, en formation réticulaire, c'est-à-dire soumis à des phénomènes d'étayage compensatoire :
 - les phénomènes psychoaffectifs internes au sujet
 - les phénomènes communicationnels dans lesquels les enfants sont impliqués
 - les représentations construites par l'enfant vis-à-vis du savoir, ce dernier champ recouvrant dans une acception élargie les approches cognitives (dans la mesure où ainsi définies elles incluent explicitement, comme les deux champs précédents, les phénomènes inconscients).

Toute rééducation interagit sur ces trois espaces sujets à remédiation.

Parce qu'il est dans l'école, parce qu'il occupe une place médiane entre l'enfant, la famille, le savoir et l'enseignant, le rééducateur peut ouvrir un espace de rejeu avec l'enfant en difficulté. Cet espace intermédiaire ou potentiel théorisé par Winnicott comme condition première de l'accès au symbolique délimite l'espace rééducatif. Je m'attache à démontrer dans mon livre les propriétés respectives d'une psychothérapie et d'une rééducation, différences liées au statut de l'adulte, aux attentes explicites qu'il pose (pour caricaturer, disons qu'un rééducateur aide un enfant à devenir un élève alors qu'un thérapeute l'aide à devenir un enfant).

Mais une fois de plus, comme pour l'éthique politique, cette dimension ne saurait se nourrir de bonnes intentions. Il faut y adjoindre une méthodologie, des stratégies... tout ce qui en somme confère à une action sa dimension professionnelle, tout ce qui permet d'imbriquer l'intention et la mise en acte, tout ce qui permet enfin de ne pas dériver vers d'autres types d'interventions (dont la thérapie précisément, ou encore l'instrumentalisation des déficits découverts ou générés par divers bilans).

J'espère avoir su montrer les liens existant entre le projet de la PI et le projet rééducatif. Il me resterait maintenant à expliciter la méthodologie mise en oeuvre au fil d'une rééducation.
Comment une démarche menée en relation duelle avec l'enfant permet-elle d'introduire divers médiateurs susceptibles d'intervenir :
 - sur la dynamique intra-psychique : cela suppose le recours à des objets médiateurs sollicitant l'imaginaire, activant une dynamique de rééquilibration entre imaginaire et symbolique, activant donc ce que l'on appelle des processus de symbolisation qui permettent à l'enfant de trouver ou retrouver le désir d'apprendre.
 - sur la dynamique communicationnelle : cela suppose le recours à des stratégies spécifiques dans le champ communicationnel, à l'intersection famille, enseignant, savoirs, mais, plus encore, avec les représentations véhiculées par l'enfant croisant cette intersection. Des médiateurs susceptibles donc de permettre des avancées ou des rejeux d'interrelations, celles qui freinent l'accès au savoir, au désir de savoir.
 - des médiateurs intervenant enfin sur les objets culturels véhiculés par le milieu scolaire. L'accès au lire, au dénombrement, à la culture au sens large.

L'implication de l'élève résultera de la combinaison de ces diverses composantes de l'action rééducative, en privilégiant telle ou telle focale, en réaménageant le projet en fonction de l'évolution de chaque cas d'élève.

Raconter tout cela serait très long, c'est en fait l'objet même de mon ouvrage, "Intervenir en RASED" sous-titré, ce n'est pas un hasard, "Histoires de Paul, Hugo et Pierre". De fait, et ce sera le dernier pont entre PI et rééducation, ce sous-titre renvoie à la déclaration d'Oury, " Ne rien dire que nous n'ayons fait " : les deux tiers du livre retracent des suivis d'enfants, de la phase de signalement à la dernière séquence. La dialectique expérimentale instrumentation pratique-théorie a géré pas à pas l'élaboration de l'ouvrage. Il fut d'ailleurs travaillé avec l'ensemble du groupe PIG et la première rééducation présentée fut initialement publiée dans Artisans TFPI en 92.

Conclusion
Pour conclure, n'oubliant pas mon projet initial, dire ici ce qu'il m'était difficile de préciser dans l'ouvrage, je tiens à souligner la difficulté qui propulse " rééducateurs " des personnels enseignants auxquels on ne demande aucune formation personnelle.

Si l'on admet, comme le soulignent les Instructions Officielles, que la démarche rééducative vise à permettre à l'enfant de restaurer son désir d'apprendre, restaurer l'estime de soi, si l'on admet qu'une telle démarche implique une rencontre au fil de laquelle des processus transférentiels joueront un rôle essentiel, comment imaginer que des personnes n'ayant pas exploré l'impact de leur propre imaginaire puissent soutenir une telle fonction ?
Comment accéder par exemple à l'empathie, comment occuper les versants maternels et paternels de l'intervention, comment trouver les voies de distanciation qui autoriseront un travail réel ? Quid de la formation personnelle ? Quid des démarches de supervision ?

Ces mêmes questions se posent évidemment aux praticiens de la PI qui, comme j'ai essayé de le préciser ici, oeuvrent dans un champ très proche du champ rééducatif.

Il reste très difficile d'interpeller les instances de formation sur cette difficulté précise, condition pourtant sine qua non d'une professionnalisation de la relation pédagogique (dont la rééducation reste une déclinaison spécifique). Mais sans doute, à bien y réfléchir, ce problème de formation personnelle relève de l'éthique, de la responsabilité de chacun d'entre nous et ne pourrait que très difficilement faire l'objet de cursus normés.

De là à dénier ce type de questions, il y a un gouffre... franchi parfois par certains formateurs au péril des futurs enseignants, des futurs rééducateurs et, en définitive, des élèves en difficulté.

Guy Hervé - 1997

Haut de page

Accueil

Biblio

Groupes PI

Le PIG

Liens

Monos

Publications

Stages de PI

Textes

Voisinage