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Jeudi matin, dernier
jour avant les vacances de février.
Je suis en visite dans
une classe de vingt-quatre C.E.2. Le marché est prévu
à 10 h 15.
10 h 10 : tout le
monde prépare son stand. Les tables se couvrent d'objets
hétéroclites. Quelques murmures. Des
regards.
A 10 h 15, après
avoir vérifié les articles, le maître
déclare : «Le marché est ouvert.»
Aussitôt, une
rumeur active. Ça grouille. Mais attention, cet apparent
désordre obéit à des règles bien
définies, connues de tous :
- Le marché a des
heures d'ouverture et de clôture.
- Aucune transaction
n'est autorisée en dehors.
- Les prix sont
fixés par le vendeur.
- Chacun peut, s'il le
désire, être vendeur et (ou) acheteur.
-On est toujours dans la
classe, les lois ou règles de vie demeurent.
Certains stands sont
plus fournis que d'autres. Mais, au moins ce jour-là, chaque
élève a quelque chose à vendre. On vend. On
achète. On discute. On observe. Lorsque les prix sont
affichés, l'acheteur dit son choix, il tend les billets ou les
pose sur la table, et emporte son achat.
Julie a son bureau
couvert de marchandises. Elle n'a pas
d'étiquettes-prix.
Mélanie :
«C'est combien la brosse ?»
Julie sort alors un
rouleau de papier style caisse enregistreuse. Elle y a inscrit, comme
sur un catalogue, la désignation et le prix des articles
à vendre.
Julie : «1,5
sou.»
Mélanie paie et
prend la brosse. Julie vend jusqu'à la fin du marché.
Elle renouvelle à chaque fois l'opération du rouleau de
papier.
Le maître aussi
vend. Son stand a du succès. Pour certains, nul doute que ce
n'est pas la même chose d'acheter au maître ou à
un autre élève. Plusieurs semblent
intéressés par un "superbe" oiseau en terre peinte.
C'est Alex qui l'emporte. Les sous vont à la banque. Le
maître peut également acheter, uniquement pour la
classe. Sylvain n'a mis en vente qu'une gomme, sans succès. Le
maître l'achète, pour la boîte "petit
matériel" de la classe.
Devant Guillaume, un
petit vase blanc. Sébastien s'approche, 4 sous dans la main,
intéressé.
Sébastien :
«Combien le vase ?»
Guillaume regarde les
billets de Sébastien : «4 sous.»
Moue de
Sébastien.
Guillaume : «Oh, 4
sous ou 2 sous, comme tu veux.»
Sébastien lui en
donne 2 et part avec le vase.
Marc et Christophe ont
des stands voisins. Marc, après la vente d'un
porte-clés, a 1 sou. Christophe propose, 50 centissous
pièce, des posters qu'il détache d'un album.
Marc : «J'aimerais
bien avoir un poster de Rambo... pour ma chambre... chez
moi...»
Christophe :
«Tiens.»
Marc : «Tu me le
donnes ?»
Christophe :
«Oui.»
Une minute plus tard,
Marc vend le poster 1 sou. Peu avant la fin du marché, il
achète avec ses 2 sous ce qui reste de l'album.
Cécile vend des
bonbons dont le prix figure sur une étiquette :
1 SOU : 1
BONBON
2 SOUS : 2
BONBONS
Sa copine Juliette
arrive.
Juliette : «J'en
voudrais deux. C'est combien ?»
Cécile :
«C'est marqué.»
Juliette : «Ah oui
! Voilà 2 sous.»
Le maître annonce
: «Plus que deux minutes.»
Dernières
transactions puis.... «Le marché est
terminé.»
On range les stands.
C'est la récréation.
Cécile et
Juliette sortent ensemble. Cécile a encore une demi-poche de
bonbons. Elle l'ouvre et en offre à Juliette.
Juliette : «Merci.
Dis, on joue à l'élastique ?»
Cécile :
«Oui, d'accord.»
Sensation de n'avoir
vu qu'une infime partie de ce qui s'est joué là,
pendant quinze minutes. Impossible de tout capter dans cette
multitude de transactions. Comme un patchwork de situations
apparemment sans lien. Étoffe où chaque pièce se
tisse puis se détisse pour se recomposer dans des tons
différents.
Parfois sur les
franges...
Ainsi, pourquoi
Guillaume baisse-t-il le prix du vase ?
Parce que c'est son
"copain" ?
Parce qu'il tient
à vendre à Sébastien ?
Parce que personne n'en
voulait à 4 sous ?
De toutes façons,
la règle d'échange n'est pas transgressée. Le
prix est baissé mais la marchandise est
payée.
Plus délicate,
l'histoire entre Christophe et Marc. Christophe offre un poster. Ce
don, apparemment gratuit, place Marc bien plus en situation de
dépendance que s'il avait bénéficié d'une
remise. La monnaie ne vient pas faire coupure dans l'échange.
La personne est impliquée.
Alors, Marc a-t-il voulu
simplement se procurer une marchandise à vendre ?...
Peut-être, puisqu'il en retire 1 sou. Et si le poids du don
était tellement lourd qu'il ait dû s'en libérer
immédiatement ? Puis, comme si cela ne suffisait pas, il
achète tout le lot de posters. Voulait-il par ce rachat
annuler l'offrande ?
Mais l'étoffe
tient bon...
Cécile
achète des bonbons à Julie pendant le
marché.
Elle accepte le don des
bonbons après le marché.
Avant, ce n'était
ni le lieu, ni le moment.
Christian Delavaud - 1989
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