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Banlieue de Bordeaux, janvier 89. Début du deuxième trimestre, deux "nouveaux" entrent dans la classe de C.M.2 (19 élèves) où je travaille à mi-temps chaque après-midi. Ils sont accueillis.
Premier
jour.
Aussitôt le signe
du maître qui indique le début de la demi-journée
et de nos règles de fonctionnement :
«Bonjour, je suis
M. Geffard, je sais que vous êtes Cédric N. et Romain
B., mais qui est qui ?»
Romain : «Moi c'est
Romain et lui c'est Cédric.»
Je présente
ensuite l'emploi du temps de l'après-midi en indiquant
:
«Nous vous
présenterons la classe et la manière dont nous
travaillons après l'heure de musique. Maintenant, vous
êtes avec M. L.»
Deuxième
heure.
Après la musique
faite avec l'intervenant et pendant que je distribue du
matériel aux deux nouveaux, la classe, prévenue au
moment de l'emploi du temps, a quelques minutes pour
réfléchir à ce qui doit être
présenté. Je préside. Sur dix-neuf
élèves présents, quatorze interviennent pour
évoquer, dans l'ordre : le cahier du Conseil, le travail
individuel, les lois de la classe, les métiers, le Conseil, le
code voix basse et les "gêneurs", la bibliothèque, la
présentation des poésies, le bilan du soir, la
présentation de romans, les couleurs de compétences,
l'emploi du temps, la présentation de dessins, le fichier
lecture-recherche, le sport. Certaines choses sont
précisées (on parle 3 fois du Conseil), il est
signalé que tout ceci ne concerne que les après-midi,
plusieurs élèves sont cités à propos de
leurs métiers et désignés aux nouveaux. Chacun a
été nommé, au moment de son intervention ou en
référence à une activité de la classe.
Romain pose des questions :
«En fait, qu'est-ce
qu'on peut écrire au cahier du Conseil ?»
«Qu'est-ce qu'on
fait avec les ceintures ?»
Il lui est
répondu par des exemples. Nous passons ensuite à un
travail collectif en éducation civique au cours duquel Romain
prend la parole en utilisant nos règles.
Dernière
heure.
Présentation de
poésies : un élève préside, un autre fait
le secrétariat. Cédric et Romain votent au moment de
l'évaluation, je n'interviens qu'au moment de donner "l'avis
du maître". Séance collective à nouveau en
orthographe puis, comme tous les jours, bilan express de la
journée. Cédric et Romain observent mais ne participent
pas.
Deuxième
jour.
Avant le moment "emploi
du temps", une des responsables de la bibliothèque a une
minute pour parler d'un problème de disparition de livres.
C'est une urgence : nous avions accueilli des C.E.2 qui ont
probablement conservé les livres qu'ils avaient
empruntés. Quelqu'un suggère de faire un mot à
cette classe. Je lui propose de s'en charger pendant le travail
individuel et de le soumettre au Conseil.
La première heure
se partage entre une demi-heure de travail individuel durant laquelle
je fais passer un test de lecture rapide à Cédric et
Romain et une demi-heure de travail collectif en
orthographe.
Deuxième heure.
Épreuve de lecture rapide avec le "Je Deviens un Vrai Lecteur"
: Cédric et Romain s'intègrent sans difficulté,
ils viennent de découvrir l'organisation de ce travail au
moment du test. Cette activité courte est suivie d'un travail
en Histoire.
Dernière heure.
Conseil pendant une demi-heure. Sur le cahier de préparation
Romain a écrit son nom et son prénom suivis de
:
"Je (voud
-barré-) demande la ceinture jaune clair."
Au cours du Conseil,
Cédric et Romain votent lors des demandes de ceintures de
comportement. Je n'avais rien prévu : que vaut ce vote
d'élèves qui ne sont là que depuis deux jours et
ne savent pas grand-chose du comportement habituel des autres ? Mais
leur participation ne change rien aux résultats aussi je
n'interviens pas. Romain lève la main au moment où Marc
est critiqué pour avoir oublié de sonner la fin des
récréations : il est témoin et confirme la
critique. Marc reconnaît et propose de passer le métier
à quelqu'un d'autre.
C'est un métier
astreignant, il a été décidé qu'on
changeait régulièrement de responsable. La fin de la
période prévue n'est pas tout à fait atteinte
mais, pour des raisons qui tiennent à ma perception de
l'évolution de Marc dans la classe, je donne mon accord pour
le changement de responsable.
Neuf volontaires pour
prendre ce métier, dont Cédric et Romain. Je propose
que le choix se fasse entre eux puisqu'ils sont les seuls à ne
pas avoir de métier. Cédric est élu.
S'il est nouveau dans la
classe, il avait déjà fait deux ans dans cette
école précédemment et était connu de la
plupart des élèves, chose que je savais. Je rappelle
que Marc devra expliquer à Cédric en quoi consiste ce
métier. Au moment des remerciements-félicitations,
Virginie félicite Marc d'avoir donné son métier
à Cédric. Paola remercie Marc d'expliquer le
métier de la sonnerie à Cédric.
Romain : «Je
remercie toute la classe parce qu'elle m'a bien
accueilli.»
Après le Conseil
et les devoirs, nous finissons l'après-midi en partageant le
gâteau offert par Cora pour son anniversaire. A dix-sept
heures, sur un signe de Marc, Cédric se lève et va
sonner la fin de la journée.
Le dernier jour avant
les vacances de Noël, le directeur de l'école (qui fait
l'autre mi-temps de cette classe) m'avait dit en m'annonçant
l'arrivée de deux nouveaux élèves pour janvier
que l'un d'eux était assez "secoué", sans me dire son
nom. A la fin de cette deuxième journée, je ne peux que
supposer qu'il s'agissait de Cédric, atteint de strabisme et
qui n'a pas pris la parole en grand groupe même s'il a eu
plusieurs échanges avec d'autres élèves ou le
maître. Si l'on ne m'avait rien dit, je n'aurais rien eu de
particulier à signaler.
L'annonce de cette
arrivée ne m'avait d'ailleurs pas spécialement
réjoui. La classe s'organise, la coopération commence
mais je la ressens comme encore fragile. Le maître aussi
fantasme et je connais mes réticences à accueillir de
nouvelles personnes dans une classe en début d'organisation.
Aussi ai-je pris garde à travailler ce moment de
l'accueil.
Il me semble qu'à travers ces deux premières demi-journées, Cédric et Romain ont rencontré un milieu structuré, des rôles et des fonctions, des règles et des techniques. Ils ont rencontré des personnes et ont été nommés. Outre les paroles rapportées ici, ils ont aussi découvert dans cette classe, nouvelle pour eux, toute une série de tableaux (ceintures, couleurs de compétences, métiers, etc.) où leur nom est inscrit.
"Lorsqu'un enfant est accueilli par une classe, qu'il peut observer les autres, parler, répondre à qui lui parle, vivre et respirer, cela c'est déjà être chez les humains et dans une société." (Françoise Dolto, dans sa préface à Vers une pédagogie institutionnelle)
Patrick Geffard - 1989
Cf.
l'article de Jean-Claude COLSON "Éléments de
recherche théorique : les inscriptions"
in Artisans T.F.P.I. n°1, novembre 1988.
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