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Nicolas
ou  "Vous reprendrez bien un peu de recul ?"

Septembre 90. J'ai, pour l'année, un C.M.1 de 22 élèves dans une école de Bordeaux dont la population scolaire n'attire pas de remarque particulière.

Je démarre en introduisant progressivement techniques Freinet et pédagogie institutionnelle. Je prends des notes, sans projet précis, sur certaines mises en place et sur des interventions d'élèves. Mes notes s'organisent plus précisément autour de Nicolas, mais seulement pour une période d'un peu moins de cinq mois, de la mi-novembre à la première semaine d'avril.
Pourquoi ces limites ? D'abord parce que je n'ai que peu remarqué Nicolas. L'absence de prise de parole ou de demande pour changer de ceinture de comportement, les faibles performances scolaires ne me sont pas inconnues mais d'autres occupent le devant de la scène. Cinq élèves paraissent manquer sérieusement de repères et sollicitent la vigilance du maître. Nicolas est discret. S'il m'arrive d'être préoccupé par certains, d'en rêver parfois, ce n'est jamais le cas pour lui.
Plus tard, en avril, j'interromprai ma prise de notes, pensant qu'il est peut-être préférable pour Nicolas que j'évite de "me pencher sur son cas".


De la rentrée au mois d'avril, j'ai relevé :

De septembre à la mi-novembre, Nicolas est silencieux. Il ne prend ni ne demande jamais la parole, se contentant de répondre avec difficulté et à voix à peine audible si on l'interroge. Nathalie, souvent exclue du Conseil pour ses interventions intempestives, dira de lui : «Il est muet ». Il n'a jamais de "gêneur", et lors des moments "voix basse", parle très peu, uniquement avec Frédéric. Il fait partie des trois élèves qui n'ont pas de métier.
A la mi-novembre, il est toujours ceinture blanche en comportement, il doit entrer et sortir de classe accompagné par une ceinture orange. Il n'est jamais critiqué au Conseil.
Le 18 novembre, au Conseil, Nicolas obtient le métier "poubelle" (au moment des rangements, passer auprès de chaque équipe pour collecter les papiers) et sa ceinture jaune clair en comportement. C'est aussi le jour du premier marché. Nicolas semble intéressé, rit, circule avec ses sous après s'être levé le dernier et achète un livre.
Le 20 novembre, il vient spontanément me montrer un travail et me signale que Nathalie, responsable du tableau "nos métiers", n'a pas encore fait son étiquette : «Et moi normalement j'ai un métier.»
Au Conseil du 20 novembre, il vote pour une amende au maître qui a emprunté du matériel sans demander la permission (référence à une loi de la classe) et prend la parole à la fin du Conseil pour féliciter Frédéric qui a obtenu une ceinture.
Le 1er décembre, première intervention lors d'un choix de texte pour faire remarquer à propos du texte de Jérôme : «C'est presque le même que celui de Myriam.»
Le 5 décembre, pendant le "Quoi de neuf ?", Nicolas se lève et se déplace pour mieux voir ce que Carole a apporté puis, en travail de groupe, lève la main pour signaler une erreur du maître au tableau. Il reçoit une prime de 50 centissous.
Le 8 décembre, pour la première fois, Nicolas est volontaire pour aller faire une correction au tableau.
Le 15 décembre, il vient me rappeler que c'est à partir d'aujourd'hui que Julien doit faire son métier "écrire les devoirs au tableau".
Le 4 janvier, il lit à voix haute et claire le texte mis au point, fait une erreur, en rit et se corrige.
Du 11 au 18 janvier, il se proposera plusieurs fois pour aller corriger un devoir au tableau, ce qu'il continuera à faire par la suite. Il a des réussites en opérations et problèmes, le domaine où il est le plus faible. Il me signale les erreurs d'orthographe de Nathalie sur le tableau nos "métiers".
Le 15 janvier, il paie sa première amende pour avoir couru dans les escaliers.
Le 19 janvier, première présentation de lecture à voix haute. Évaluation de la classe : "++", avis du maître : "++" ("++" correspond à la meilleure appréciation).
Le 23 janvier, Nathalie, qui a déjà cinq métiers et prend souvent du retard, propose de donner à quelqu'un qui en a peu son métier "tableau des métiers". Elle propose Nicolas, pas d'avis contraire. A partir de cette date, Nicolas s'acquitte sans retard ni erreur de cette tâche.
Le 29 janvier, au moment de la paye, avant le marché : «Moi, j'ai 10 sous maintenant.»  Nicolas vend et achète lors des marchés.
A partir de la fin janvier, Nicolas interviendra, peu mais à voix audible pendant les présentations.
En février, Nicolas ne vote pas toujours au Conseil, n'intervient pas, mais en travail de groupe, lève la main et demande la parole. Il est dit "gêneur" pendant un choix de texte. Il demande parfois des précisions. Il réussit des examens, y compris en opérations et problèmes.
Le 9 mars, Nicolas demande la parole pour signaler quelqu'un qui se déplace sans permis.
Le 19 mars, il vient se plaindre au maître de Frédéric qui l'a traité de "poubelle" :
«Qu'est-ce qu'on fait dans ces cas-là ?
- Ah oui...»
Nicolas va au cahier de Conseil mais n'écrit pas.
Le 24 mars, Nicolas, qui vient d'être malade quelques jours, va inscrire juste avant le Conseil sa demande de ceinture jaune foncé en comportement. Faute de temps, sa demande n'est pas lue.
Le 31 mars, Nicolas présente son texte "Le prince joueur de flûte", c'est le texte élu pour le journal. Le même jour, il est secrétaire du Conseil pour la première fois et obtient sa ceinture jaune foncé qu'il avait redemandée.
En avril, il se repère très bien dans les couleurs de compétences et vient me voir en travail individuel : «J'ai plus rien à faire, je peux avoir mon dossier  "Mes progrès"  (ramassé pour les corrections) pour voir quelle barrette je peux faire ?»
Au Conseil du 3 avril, il a demandé la parole pour dire son refus de poursuivre un travail en lecture avec une intervenante Z.E.P. 1
Le 9 avril, Nicolas, qui a eu sa ceinture il y a 10 jours :
«Est-ce qu'il faut attendre quinze jours pour demander le permis de circuler ?
- Non.
- Ouf !»


En juin, je pourrai ajouter :

Le discret Nicolas s'est manifesté. En fin d'année, il est jaune foncé en comportement et a le permis de circuler dans la classe (3 élèves sont encore jaune clair). Il parle régulièrement, à voix audible, reçoit quelques "gêneurs" à l'occasion. Il a apporté à la classe du matériel pour les montages électriques. Il rit, crie et participe plutôt habilement durant les séances d'initiation au rugby.
"Oublié" au sociogramme de septembre, choisi seulement par Frédéric en décembre et en mars, il est cité 4 fois à celui de juin. Ses progrès scolaires sont inscrits au tableau de la classe et dans son dossier : blanc en problèmes au mois de septembre, il a pratiquement atteint le niveau vert clair en juin.
Mais, à y regarder de plus près, cette progression n'est peut-être pas aussi linéaire qu'il semblerait...


Passages de ceintures :

Depuis le début de l'année, Nicolas travaille. Son plan individuel est généralement réalisé, il respecte les lois de la classe, il ne gêne pas. Mais, en novembre, Nicolas est toujours ceinture blanche en comportement. J'ai précisé qu'au Conseil, il était possible de proposer une barrette ou une ceinture de comportement pour quelqu'un d'autre. Le 13 novembre, Nicolas, accompagné par Miguel, va inscrire sa demande pour la ceinture jaune clair. Le même jour, il vient me voir pour la première fois pendant le travail individuel :
«Je voulais vous demander, si on a demandé sa ceinture jaune clair et qu'on est malade le jour du Conseil, comment on fait ?
- On voit au prochain Conseil.»
Le lendemain, jour du Conseil, Nicolas est absent. Il revient le surlendemain avec un mot d'excuse signé de sa mère. Nicolas a été malade. La demande de ceinture a été réinscrite pour le Conseil suivant par Nicolas, le 18 novembre, il obtient sa ceinture jaune clair à l'unanimité.
Le 20 mars, l'école doit recevoir la visite du ministre de la francophonie. Chaque classe a délégué un groupe d'élèves pour l'interviewer et lui présenter des travaux. Nicolas fait partie du groupe des C.M.1. Le 20 au matin, avant la classe, la mère de Nicolas m'apprend qu'il est malade et ne pourra sûrement pas être présent. Le médecin n'a pas été appelé, la maladie ne semble pas trop grave, j'insiste pour que Nicolas vienne au moins pour la rencontre. Il est effectivement présent l'après-midi, pas très en forme mais Miguel le prend en charge et l'accompagne.
Nicolas sera ensuite absent pendant trois jours. Lorsqu'il revient, c'est jour de Conseil, il va seul, au dernier moment, inscrire sa demande de ceinture jaune foncé. Elle ne pourra être prise en compte, faute de temps mais il s'inscrira à nouveau pour le Conseil suivant et obtiendra sa ceinture.
C'est la semaine suivante qu'il vient me demander si, comme pour les ceintures, on doit attendre au moins 15 jours pour une demande de permis.


Difficultés et réussites en math :

Aux examens de septembre, les performances de Nicolas en mathématiques sont très faibles. En numération, il fait encore des erreurs en utilisant les nombres de 1 à 69, en opérations, il ne connaît pas les tables de 2 et 5 et en problèmes, à la question "Dans une classe, il y a 9 garçons et 5 filles, combien y a-t-il d'élèves dans la classe ?"  Il répond : "9 fois 5 = 45, il y a 45 élèves."
Lorsque nous travaillons par petits groupes en math et que j'interroge Nicolas, son regard semble se voiler, il hésite beaucoup à répondre et murmure une vague proposition à partir des premiers chiffres disponibles. Il ne peut ensuite aller plus loin, se demande "ce qu'il voulait dire" et... ne dit plus rien. Dans ces moments-là, il n'est pas loin d'avoir l'air débile...
Je n'insiste pas et, durant le premier trimestre, j'évite d'interroger Nicolas en math. Je lui prépare des plans de travail à son niveau et le renvoie à plus compétent que lui pour se faire aider. En octobre, confronté au même type de problème, il donne le même genre de résultats.
Début décembre, Nicolas commence à lever la main pour proposer des réponses, y compris en math. Le samedi 9 décembre, Nicolas est en classe, il est malade. Sa mère m'informe le lundi matin qu'il sera absent jusqu'à jeudi. Les élèves savaient qu'ils auraient des examens à passer pendant cette semaine. Le jeudi, Nicolas est de retour, il passe et réussit les examens problèmes niveau jaune auxquels il avait échoué jusqu'ici.
En janvier, Nicolas participera à un problème niveau vert foncé (d'autres n'y arrivent pas). Il trouve, avec l'aide du maître, la solution d'un problème niveau vert clair et paraît étonné. Il lui arrive maintenant de proposer des réponses mais, si je l'interroge, il se trouble encore, semble s'engager dans une fausse réflexion et échoue.
En février, il passe au niveau orange en problèmes. Fin mars début avril, il est bleu clair en numération, vert foncé en opérations. A partir d'avril, il propose et participe de plus en plus souvent. Début juin, il saura travailler sur les calculs assez complexes des coûts de notre sortie de fin d'année.


Les textes de Nicolas

En septembre, j'introduis le texte libre, la "machine à écrire" (fichier incitatif) et le choix de texte. L'écriture d'un texte est un passage obligé. Comme tout le monde, Nicolas a écrit mais son texte ne sera pas présenté, Nicolas l'a "perdu". Ensuite, l'écriture est soit libre, pour le choix de texte du samedi matin, soit imposée par le plan de travail individuel.
En octobre, Nicolas n'écrit pas, malgré les consignes sur le plan de travail.
En novembre, il rédige un premier texte, qu'il montre à Frédéric mais prétend avoir perdu par la suite. Son titre était "Le dragon".
Il écrit aussi un deuxième texte pendant 45 minutes, début décembre, en travail individuel. Au choix de texte suivant, Nicolas ne le présente pas, il dit l'avoir "oublié à la maison". Ce matin-là, Nicolas est malade, il pleure en sortant de l'école et me dit avoir "tremblé pendant le Conseil".
Le samedi qui suit, Nicolas est absent. Mot des parents le lundi matin : Il était "souffrant ". Le texte "La voiture volante" ne sera pas présenté à la classe mais donné au maître, corrigé par Nicolas et recopié dans son cahier.
 

La voiture volante

Un jour, M. Durand dit en colère :
«Je voudrais une autre voiture, la mienne ne marche plus.»
Mais un vendeur de voitures, qui était bien sûr son ami, frappa, il alla ouvrir la porte et dit :
«Alors c'est vrai que tu veux m'acheter la Rolls ?»
L'autre dit :
«Exactement elle me plaît beaucoup mais je n'ai que 1000 F.»
«T'en fais pas je te la vendrai 100 F.»
Il dit :
«Oh merci»
L'autre dit :
«Y'a pas de quoi tu sais.»
«Bon tu me la vends aujourd'hui ?»
«Si tu veux d'accord, viens on va dans ton jardin la voiture t'attend avec impatience.»
A peine il ouvrit la porte, il dit :
«Ouah elle est magnifique.»
«Bien sûr dit-il, bon je vais te quitter, au revoir.»
«Oui !  Je vais l'essayer.»
Il y entra et dès qu'il mit la clé la Rolls s'envola. Tout excité, il dit :
«Aidez-moi !
Mais personne ne l'entendait. Il arriva dans l'espace mais elle avait des ailes.
«J'ai une idée, je vais faire tourner le volant.»
Il réussit à revenir sur terre. Son copain arriva.
«Bonjour, ça va ?»
«Bof» dit-il
«Qu'est-ce qui s'est passé ?»
«C'est un secret à ne pas dire.»
«D'accord»
«Eh bien !  La Rolls vole.»
«Et zut !  Elle m'a fait pareil l'année dernière.»
Le lendemain il se réveilla, il alla au marché et rentra tout fatigué.
«Je suis quand même content d'avoir eu cette belle voiture, je la garderai toujours elle ne marche plus mais je la garderai toujours.»


En janvier, Nicolas a écrit un nouveau texte mais ne le présente pas au choix de texte, il l'a à nouveau "oublié à la maison". Je lui suggère de me le montrer avant le choix de texte parce qu'il prétend que son histoire n'est pas vraiment terminée.
Le 29 janvier, il me signale : «Je l'ai remis sur votre bureau, c'est écrit en noir.»  Je lui rends le texte le 30 :
«A mon avis, il est fini, il est même très bien, tu te sens capable de le présenter samedi ?
- Oui.»
Nicolas range son texte dans son classeur. Le texte est présenté le samedi suivant, sans difficulté apparente. Il n'est pas élu mais obtient un bon nombre de voix.
 

Je ne suis plus une mauviette

Un jour, un singe qui s'appelait Marcel se promenait dans la rue, il avait peur de tout le monde et quand il y avait une mouche qui passait, Marcel avait très peur, alors tous les gens de la ville se moquaient de lui.
Marcel était vraiment très triste, il rentra chez lui et prit un livre.
Il ouvrit la première page, il vit "Ne soyez plus une mauviette" et il appela ses parents et leur dit :
«Je veux essayer de soulever des haltères.»
Les parents dirent «D'accord, essayons.»
Il les souleva de plus en plus et il devint fort. Il alla dans la ville et les gangs l'attaquèrent et Marcel les assomma tous et il s'en alla et il dit :
«Je ne suis plus une mauviette.»


Début février, Nicolas écrit "Le prince joueur de flûte". Viennent ensuite les vacances. Au premier choix de texte de mars, Nicolas ne présente rien. Il laisse aussi passer le second et le troisième bien que je lui ai demandé des nouvelles de son texte qui n'est, paraît-il, pas fini C'est alors le moment de la visite du ministre et Nicolas sera absent une semaine.
Au dernier choix de texte de mars, Nicolas lève la main et présente "Le prince joueur de flûte".
 

Le prince joueur de flûte

Un jour, dans un pays lointain, vivait un prince, il avait une flûte mais il ne s'en servait jamais.
Un jour, des rats envahirent un petit village.
Le lendemain, les habitants appelèrent le prince, il fit ses valises puis partit pour le village.
Il arriva au moment où les rats revenaient.
Le joueur prit sa flûte, il joua. Tous les rats partirent car ils n'aimaient pas sa musique.
Le village fut reconstruit par le joueur et les villageois.
Aujourd'hui, ils vivent heureux.


Le texte est élu et paraît dans le journal de la classe. Pour cause de Conseil d'école et de vacances, il n'y a qu'un samedi matin en avril, un seul texte est prêt, celui de Nicolas, "le dragon d'or". Nous ne faisons pas de choix de texte. La présentation est faite, sans oubli ni retard, en mai.
 

Le dragon d'or

Dans une forêt sombre, vivait un dragon pas comme les autres. Ses écailles étaient en or. Un peu plus loin, il y avait un village où tous les habitants étaient pauvres mais ils appelèrent un roi. Qui appela son fils pour aller tuer le dragon. Il accepta.
Le lendemain il partit pour le village, en chemin il rencontra un sorcier. Il lui dit :
«Ne va pas là-bas, tu ne reviendras jamais.»
Puis il s'en alla, plus tard il arriva dans sa grotte. Il prit l'épée pour le tuer mais le dragon se réveilla. Il lui lança l'épée dans le coeur mais l'or le protégeait, alors il l'assomma et il l'emmena au village.
Depuis ce jour, ils vivent heureux.



À propos des progrès de Nicolas :

Nicolas a avancé, mais visiblement pas sans mal. Pour être là, s'inscrire, parler, écrire, il semble qu'il ait dû payer son tribut de silences, d'absences, d'épisodes maladifs, de ratés et de bégaiements. Risque-t-il de mettre en cause un équilibre antérieur quand il progresse?
Ses textes suggèrent : dans "La voiture volante", celui à qui l'on fait cadeau d'un véhicule prestigieux se trouve très vite emporté dans l'espace, lieu sans limite. Il n'est pas loin d'en perdre le contrôle et, s'il réussit à revenir sur terre, il décide, fatigué, de le conserver sans plus s'en servir.
Il a fallu beaucoup de temps à Nicolas pour présenter "Je ne suis plus une mauviette". Entre le titre et la dernière ligne qui insiste, paraît conclure et reprend la même phrase, il y a l'accord des parents pour s'entraîner" et devenir fort. Il s'agit toutefois de l'histoire d'un singe...
 "Le joueur de flûte" voit le triomphe d'un prince, un fils donc, qui finit par utiliser la flûte, objet bien évocateur, qu'il possédait mais dont il ne se servait jamais.
Dans "Le dragon d'or ", c'est le fils du roi qui est envoyé pour sauver le village. "Le fils partit et arriva dans sa grotte". Le dragon ne meurt pas, à la fin de l'histoire, dragon et fils du roi sont heureux, ensemble.
Prudence, bien sûr, ces propos ne viennent qu'en écho à ce que Nicolas lui-même évoque.
Dans un autre registre, les démêlés de Nicolas avec les mathématiques laissent aussi à penser : En une année scolaire, il est passé de performances de niveau C.P. à celles d'une fin de C.E.2, début C.M.1.
Je doute que les qualités pédagogiques du maître ou des techniques qu'il emploie suffisent à expliquer pareil progrès. Je crois plutôt qu'un savoir était déjà là, inemployé, un peu à la manière de la flûte du prince. Nicolas avait du mal à compter, peut-être du mal à compter pour un, sujet confronté aux autres ?
Il me semble que cette classe qui s'acheminait, difficilement parfois, vers la coopérative a offert à Nicolas des rencontres, souvent
discrètes, qui lui ont peut-être évité des confrontations trop brutales, aptes à le renvoyer au silence.

L'année précédente, Nicolas avait pour seul copain Frédéric. Cette année, il a rencontré Miguel et Myriam, chefs d'équipe et "bons élèves" qui l'ont aidé et accompagné. Nathalie aussi, élève plutôt agitée qui l'a remarqué et lui a offert un métier. D'autres encore qu'il a même pu, à son tour, aider. Il a rencontré un milieu structuré par des lois, des lieux différenciés, des échéances, offrant une certaine sécurité.
Nicolas a pu prendre son temps, hésiter, résister, reculer mais se risquer aussi parfois. Les choix lors des sociogrammes, les félicitations au Conseil, les jeux en récréation montrent que le maître n'est pas seul à s'apercevoir de certains changements.
A l'extérieur de la classe aussi, on semble les avoir remarqués. Le 20 mars, j'ai discuté avec la mère de Nicolas :
«Comment ça va en classe ?»  demande-t-elle.
«Nicolas a progressé. Je trouve qu'il a grandi. Et à la maison ?
- Jusqu'à l'année dernière, il ne parlait à personne, par exemple quand quelqu'un venait à la maison, et même à nous. Maintenant, il fait de vrais discours.»
Je signale que dans la classe il a des responsabilités.
«Oh, je sais, il nous l'a dit ! On l'a inscrit au foot, c'est peut-être pour ça.»
Peut-être... Mais la classe, pas plus que le foot, ne fait de miracles. Début juin, Nicolas m'a dit en travail individuel avoir un texte prêt. Le samedi matin, il prétend l'avoir oublié à la maison. Je lui conseille de jeter un coup d'oeil dans son classeur. Nicolas fait mine de le retrouver et le présente.
 

L'enfant-sorcier

Dans un pays lointain, une drôle d'école y était.
Il y avait un enfant-sorcier.
Comme il était le dernier de la classe, d'un seul coup de sa baguette, il ensorcela tous ses camarades. Il devint premier de la classe mais sa sorcellerie ne durait que 2 minutes. Il commença ses examens, 1 minute s'écroula. Il se dépêcha de terminer tous ses devoirs mais la 2e s'écroula.
Alors il redevint dernier de la classe.

Après la lecture et avant même une intervention du maître, Céline prend la parole :
«S'il est capable de ça, il ne peut pas rester le dernier ! »
Merci Céline...


 Notes complémentaires : la fin d'année de Nicolas.

- demande son permis de circuler en mai.
- Parle haut et clair, à propos de son métier au Conseil.
- Apporte du matériel pour les montages électriques et le présente.
- Dernier sociogramme et atelier "montages électriques" : veut travailler avec Miguel.
- Pose des questions à Pef lors de la rencontre à l'école.
- 15/06 : vient me demander le cahier de Conseil (pas à sa place habituelle pour cause de rangements) et écrit : "Je voudrais qu'on fasse une fête de la classe à la fin de l'année. Signé Nicolas L. et Frédéric B."
- 16/06 : tournoi de rugby contre les CM d'une autre école. Nicolas fait partie de l'équipe qui gagne le tournoi. Sur les 22 joueurs de sa classe, il est un des 5 ou 6 qui plaque aux jambes sans hésitation. Seuls parents présents sur le stade : ceux de Nicolas, c'est lui qui leur en a parlé.
Sa mère : "Depuis 2 semaines, on entend parler de tout ce que vous faites, les ceintures, tout ça..."
M : "Il vous parlait déjà un peu de la classe, non ?"
Sa mère : "Oui, mais maintenant il explique tout. Il nous a dit qu'il voudrait faire une fête. Je lui ai dit qu'il n'avait qu'à demander en classe."
Quand je fais remarquer que Nicolas participe bien au rugby, elle me signale qu'il a demandé à s'inscrire au club de foot. L'année dernière, les parents avaient proposé mais il avait refusé.
Son père (d'une toute petite voix) : Il était très timide jusqu'à cette année pour parler, aller vers les autres. Nous, on ne forçait rien."
- 30/06 : Bilan de l'année : "J'ai passé une bonne année et je vous souhaite de bonnes vacances".


Patrick Geffard - 1991

 

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