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Mélanie

J'enseigne cette année à Lormont dans une classe de C.P. - C.E.1 (9 C.P. et 7 C.E.1).
Je suis nouvelle à l'école, le directeur et la maîtresse de C.P me présentent le profil de la classe :
- Il y a trois redoublants en C.P. Ils n'ont rien appris l'année dernière. Il y a peu de chances qu'ils progressent cette année. Mélanie est très instable. Ses deux frères et ses deux soeurs ont été placés en établissement spécialisé. La mère est très spéciale. Il faudra certainement prévoir une orientation.

Ces descriptions me piquent au vif. J'attends la rentrée pour me faire ma propre idée.


Septembre

Le premier jour, je laisse les enfants se placer. Mélanie se met devant, toute souriante.
Dès la deuxième semaine, je lance un premier atelier d'écriture.
Chaque enfant écrit un texte sur ses vacances et l'illustre par un dessin. Les productions des élèves sont collées dans un cahier qui constituera par la suite
Le livre des vacances. Deux exemplaires sont réalisés : un pour la bibliothèque de classe et un autre pour les correspondants.
Suivant le niveau des enfants, la production d'écrits se fait en autonomie ou par dictée à l'adulte.
Mélanie ne sait pas quoi écrire, ni dessiner. Je lui demande ce qu'elle a fait pendant les vacances.
- Je suis allée en famille d'accueil.
- Es-tu d'accord pour écrire cette phrase ?
- Oui.

Après une semaine où les enfants sont restés silencieux au
Quoi de Neuf ?, Mélanie est l'une des premières à parler de sa famille :
- Maman s'est fait rétrécir le genou.
En réalité, la mère avait été hospitalisée.
Mélanie parle très vite et beaucoup. Elle n'est pas toujours compréhensible. Elle ne gêne pas.


Premier rendez-vous demandé par la mère (fin septembre) :

Lors de la réunion de rentrée, j'avais précisé que toute demande de rendez-vous se faisait par écrit dans le cahier de liaison de l'enfant. Ce qui est fait.
La mère commence par me raconter que l'année précédente sa fille était toujours au dernier rang. Je la coupe :
- L'important c'est ce qui se passe cette année.
La mère est très volubile. Elle me demande ce que je pense du travail de son enfant.
- Pour l'instant, Mélanie est à l'aise en classe et participe.
Comme convenu, Mélanie nous rejoint ensuite et nous faisons le bilan.

Au moment de quitter l'école, la mère me dit "au revoir maîtresse". Je suis étonnée par cette familiarité et la façon dont elle le dit : c'est-à-dire comme si j'étais SA maîtresse.


Premières évaluations

Mélanie possède un capital-mots important. En mathématiques, elle connaît les nombres jusqu'à 50 et sait faire les additions jusqu'à 10.
Cette élève a donc des acquis.
Son écriture est souvent illisible. Bien que droitière, Mélanie tient son stylo de telle manière qu'elle ne peut voir ce qu'elle écrit. Ce qui me marque davantage c'est la difficulté de cette enfant à passer dans le monde de l'écriture, à laisser une trace, un dessin lisible, compréhensible.
Elle dit souvent "Je ne sais pas dessiner."


Octobre

Au Conseil, Mélanie est très critiquée. Elle tape les autres et empêche sa voisine de travailler.
Le 2 octobre, les enfants affirment que Mélanie a volé le goûter d'un autre élève. Or, personne ne l'a vue. L'accusée nie farouchement. J'ai un doute. L'affaire est reprise au Conseil suivant. Mélanie reconnaît qu'elle a pris le goûter car il lui faisait envie. Il est décidé que Mélanie rendra son goûter à l'élève spolié. Une nouvelle Loi est votée :
On ne vole pas les goûters. Depuis ce jour, les vols de goûter ont cessé.

Le 15 octobre, Mélanie obtient son premier métier : effacer l'emploi du temps de la journée.

En classe, Mélanie prend souvent la parole sans la demander, souvent gêneuse elle connaît et accepte la sanction "gêneuse 3 fois pendant la séance, je sors 10 minutes de la séance."
Mélanie s'assoit sur le banc de la bibliothèque et revient toujours très calmement.


Novembre

Au
Quoi de Neuf ?, Mélanie s'inscrit à chaque fois. Systématiquement, elle ramène des objets de chez elle :
- J'ai amené la clé de mon armoire.
- C'est la clé de la voiture de papa.
et reprend sous une forme exagérée les propos des autres enfants.


Paroles de lecteur

Une fois par semaine, les enfants peuvent venir présenter un livre, lire un titre, une phrase de leur choix. Mélanie s'inscrit toutes les semaines et vient lire des titres d'albums qu'elle connaît par coeur.

Au Conseil, le vendredi 16 novembre, Mélanie demande sa ceinture jaune en comportement. Celle-ci est refusée. Je lui rappelle qu'elle ne respecte pas les Lois de la classe : elle tape, ne rentre pas calmement en classe, gêne le travail des autres. C'est dur pour elle. Au cours des quatre Conseils suivants, Mélanie gêne, ce qui entraîne son exclusion. Mélanie chante et tourne autour des bancs du Conseil.


Décembre

Au Conseil du mardi 4 décembre, Christophe demande à Mélanie pourquoi elle tape. Celle-ci parle très vite. Elle évite de répondre. Je lui repose la question. Elle parle alors de son frère qui la tape et l'incite à faire pareil. Je ne comprends pas tout, car le discours est confus.
Les quinze jours suivants, cet enfant donne beaucoup moins de coups, les "Je critique" se font plus rares. Mélanie a tout de même du mal à rester concentrée et gêne encore au Conseil.

Deuxième métier : ouvrir et fermer la porte quand quelqu'un frappe.

Au Conseil du vendredi 22 décembre, Mélanie redemande la ceinture jaune et l'obtient.


Janvier

Lundi 7 janvier, le retour à l'école est difficile. Mélanie est ailleurs... Elle ne parle pas au
Quoi de Neuf ? et ne dit rien de la journée. Cela me surprend car ce n'est pas dans ses habitudes.

Mardi 8 janvier. C'est son anniversaire. Sa mère a préparé un goûter pour la classe. Mélanie est contente.

Lundi 14 janvier. Elle coupe la parole et ne travaille pas.

Mardi 15 janvier. Au
Quoi de Neuf ?, Mélanie nous apprend que son chien est mort. La cause de la mort du chien n'est pas très claire. Il me semble, alors, important d'intervenir pour ne pas laisser ses paroles sans écho.

Jeudi 17 janvier. Mélanie gêne toute la journée. Elle se remet à taper et ne travaille pas.

Au Conseil, Mélanie est rapidement exclue du cercle. Elle chante et se roule par terre... On ne s'entend plus tant sa voix est forte. Je réagis. Je mets Mélanie dans le couloir jusqu'à la fin du Conseil.


Le défilé des peluches

Quatre fois Mélanie amène des petites peluches. Elle les nomme souvent de son prénom. Les autres enfants lui font remarquer qu'elle pourrait les nommer différemment :
- "Poi - sirène", par exemple.

Le 15 janvier :
- J'ai amené un nounours, il s'appelle Mélanie.

Le 29 janvier :
- On a vu un nounours. Il va dans la neige.
Fatima :
- Lui aussi s'appelle Mélanie ?
- Oui.

Le 31 janvier :
- J'ai vu dans la cuisine mon nounours. C'est un petit poisson... Je vais l'appeler Alexandra. Sa maman, elle est morte.

Le travail scolaire se dégrade. Le cahier du jour recommence à être mal tenu, l'écriture redevient illisible, Mélanie n'écrit plus de phrases structurées, en dictée seuls les mots "papa, maman, le, la, un domino" sont réussis. Le travail individuel n'est pas fait. Mélanie s'investit seulement dans la production de la lettre aux correspondants.

Mélanie étant suivie depuis octobre par la rééducatrice, je lui demande comment se comporte Mélanie en ce moment avec elle : même impression, elle n'avance pas. La rééducatrice m'apprend que Mélanie a été en famille d'accueil durant les vacances de Noël. Elle a été très entourée. Le retour dans sa famille a été difficile.
La psychologue me fait part de la familiarité de la mère au cours de rencontres pour son fils cadet et de son égocentrisme.
Je décide de proposer un rendez-vous avec les parents.


L'entretien avec les parents (mardi 29 janvier) :

La réunion commence, Mélanie, ses frères et soeurs sont dans le couloir.
Je commence par demander aux parents comment cela se passe à la maison. La maman, qui monopolise la parole, me raconte qu'elle a repris le travail et qu'elle rentre tard le soir. Le père ne travaille pas. Pendant la rencontre, il est très effacé et ne dit rien...
- Bon, et la lecture, le soir, à la maison ?
Le père me répond
- Mélanie ne veut pas faire ses devoirs...
- Alors que faites-vous ?
- Elle va dans sa chambre, on ne la force pas... On nous a conseillé de ne pas la forcer...
Je demande alors si d'autres de leurs enfants ont des devoirs à faire.
- Non !
Je leur rappelle que c'est leur travail de parents de faire faire les devoirs aux enfants.
J'apprends que la grande soeur qui revient tous les week-ends aide Mélanie pour la lecture.
Mélanie nous rejoint. Je résume ce qui a été dit et demande à Mélanie ce qu'elle fait des livres empruntés à la bibliothèque.
- Ils restent dans le cartable.
- Pourquoi ?
- Mon petit frère déchire les pages...
Je me souviens alors qu'en septembre, lors de l'inventaire des livres de la bibliothèque de la classe, on avait récupéré des livres dont les pages étaient déchirées. Une règle de vie avait été, alors, votée : Ne pas déchirer les pages des livres.
L'entretien se termine. Avant de quitter la classe, la mère m'appelle par mon prénom. Je rappelle à la mère mon nom de famille. Elle me dit :
- Comment dois-je vous appeler ?
- Mademoiselle.
Je raccompagne les parents et la mère me dit alors
- Au revoir maîtresse.
Je réponds que je ne suis pas sa maîtresse mais la maîtresse de Mélanie et que c'est à elle seule de m'appeler ainsi.

Après cet entretien, Mélanie s'investit davantage dans les apprentissages : motivation plus grande pour lire, le travail individuel est fait. Il me semble même que la lecture n'est plus très loin.
Mélanie s'inscrit régulièrement au cahier du Conseil à "Je critique" d'abord, puis aux demandes de métier et à "Je propose" mais elle est encore régulièrement exclue du Conseil.
Mélanie continue à participer au
Quoi de Neuf ?, elle parle souvent de son père qui fait des activités avec elle, et s'inscrit toutes les semaines à Paroles de lecteur. En dessin, Mélanie commence à se débrouiller toute seule et ne dit plus "je ne sais pas dessiner."


Textes libres :

Il était une fois une maison. Le Père Noël c'est papa. Il adore les étoiles de mer.

Un jour, le Petit Chaperon Rouge qui était chez elle vit un loup par la fenêtre. Le loup voulait manger la petite fille.


Fin mai, le directeur convoque une équipe éducative réunissant la rééducatrice, la psychologue scolaire, le médecin scolaire, les parents, le directeur et moi-même.
Je mets en avant les progrès réalisés par Mélanie.
L'équipe pense qu'il serait intéressant de poursuivre sa scolarisation en CE1 malgré un niveau encore très faible. Nous savons aussi que son frère cadet a été orienté en CLIS pour la rentrée prochaine.
Mélanie entre dans le bureau. La psychologue scolaire lui fait part de notre décision.
Mélanie se met alors à sangloter. De joie ? De tristesse ? D'émotion ? Je suis troublée.
Le retour en classe est cinglant : il n'y a plus de travail fourni, l'écriture se dégrade à nouveau. Mélanie met tout en oeuvre pour montrer qu'elle n'est pas capable de travailler. Je m'énerve. Dans un des derniers
Quoi de Neuf ?, Mélanie déclare :
- Maman, elle m'a dit que je passerai jamais en CE2.
Quinze jours avant la sortie, je propose un dernier rendez-vous. Personne ne vient.
Mélanie est absente les trois derniers jours et revient avec sa soeur le soir de la sortie pour récupérer ses cahiers. Sa mère est déjà passée une heure auparavant. Elle m'a appris qu'elle a fait une demande de dérogation pour que Mélanie soit scolarisée dans la même école que son frère.


L'été est passé. Je repense aux clés du
Quoi de Neuf ? À toutes ces personnes qui ont gravité autour de Mélanie. Je relis cette monographie et réalise à quel point j'ai été soucieuse de comprendre Mélanie pour l'aider. Soucieuse de remettre à leur place les parents dans leur rôle.
C'est très louable mais l'enseignante que je suis aurait pu s'appuyer davantage sur les institutions mises en place dans la classe. Elles étaient là.
Finalement, Mélanie est entrée dans la classe par le
Quoi de Neuf ? Elle en est souvent sortie lors du Conseil. Elle est entrée dans les apprentissages quelques mois mais elle en est vite ressortie.
C'est elle qui ouvrait et fermait la porte de la classe mais elle n'a pu ouvrir totalement celle de l'accès à son savoir.

Muriel Prué
et le groupe Pédagogie Institutionnelle Gironde (2002)

 

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