|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
INTRODUCTION
Il semble indispensable de
rappeler en introduction ce qui distingue la démarche
professionnelle d'un maître G responsable des aides à
dominante rééducative.
On en trouve le reflet dans les Instructions Officielles de 90. Elles
précisent que le rééducateur doit restaurer ou
susciter le désir d'apprendre chez l'élève en
difficulté, travailler sur l'estime de soi.
Dans cette logique, l'acte rééducatif se
caractérise par son action directe chez l'enfant
rééduquant sur l'ajustement des conduites
émotionnelles, la restauration narcissique et
l'émergence du désir d'apprendre. Toute une toile de
fond théorique induit la nécessité d'orienter
une grande partie des démarches sur une boucle
affectivo-cognitive, d'organiser des médiations directement
ciblées sur cette interface. Nous verrons plus avant quelles
formes concrètes peuvent prendre ces médiations.
On retiendra en préambule qu'à mon sens
l'émergence de processus de symbolisation liant
imaginaire/symbolique cerne au plus près l'action
rééducative. Le rééducateur doit en
conséquence investir et travailler avec l'enfant le registre
imaginaire et le registre symbolique, dans une dialectique
méthodologique complexe qui caractérisera ou non son
accès à un réel
professionnalisme.
Dans une telle perspective,
quels enfants relèvent de démarches
rééducatives en milieu scolaire ? En termes
d'organisation du travail au quotidien pour les membres d'un RASED,
le problème demeure plus complexe qu'il n'y paraît : il
implique une réelle efficacité des stratégies
partenariales conduisant à l'indication, un travail sur la
demande des enseignants. Il implique ainsi une réelle
efficacité des concertations, une réelle
complémentarité des projets d'école, de RASED.
Il implique en bref une réelle optimisation du dispositif
RASED mis en place depuis presque dix ans sur l'ensemble des secteurs
au niveau national. Ce seul thème pourrait nous occuper
plusieurs heures car les projets de RASED institutionnalisés,
dans lesquels se trouvent impliqués à des places
repérées, dans des fonctions repérées
l'ensemble des membres RASED (équipes de circonscription,
enseignants et enseignants spécialisés)... ces projets
restent difficiles à construire alors que l'exigence d'actions
partenariales devient un leitmotiv jusque dans la Charte École
du XXIe siècle.
Imaginons pourtant ces
exigences liées au cadre d'intervention respectées
(elles ne constituent donc pas l'objet de cette intervention), il
devient possible d'identifier à grands traits les enfants qui
relèvent de rééducation.
Il s'agit d'enfants dont les difficultés scolaires s'originent
dans une fracture d'étayage entre fonctionnement
intrapsychique et réseau école/famille au double niveau
culturel et communicationnel.
Cette fracture inclinerait à imaginer, dans une perspective
compensatoire, des médiations ciblées sur l'apport de
matériaux culturels, scolaires. Je ne crois pas à cette
solution, quand bien même nous serait-elle fortement
conseillée, rendement et efficacité apparente
obligent.
Il me semble au contraire indispensable d'emprunter une voie
paradoxale qui consiste à agir, en amont de cette fracture,
sur l'économie psychique individuelle pour en travailler
l'infrastructure et permettre une plus libre circulation du sens :
ouvrir une brèche en somme pour permettre au savoir de
circuler, pour permettre une émergence de l'enfant sujet.
Ainsi repérée, la démarche
rééducative engage une dynamique d'inscription
culturelle des enfants, leur permet à terme de se positionner
"élèves" sur la scène scolaire.
Rééducateur
depuis neuf ans sur un secteur rural classé ZEP, j'ai
travaillé avec nombre d'enfants dont la problématique
illustre ces premières réflexions.
Je ne suis pas un théoricien, je vis au quotidien dans des
écoles une profession difficile qui m'a conduit à
osciller dans une dialectique pratique/théorie, en quête
de réponses ou, plus fréquemment, de nouvelles
formulations de questionnements récurrents. Je reste et
souhaite rester praticien. C'est donc, aujourd'hui, la voix d'un
praticien que vous entendrez.
En un mot, je ne saurais mieux parler de rééducation,
illustrer les positions liminaires qu'en les référant
à ma pratique, en exposant donc un suivi
d'enfant.
J'espère par ce biais
répondre à diverses interrogations, susciter dans vos
représentations une image suffisamment claire de ce que l'on
peut entendre aujourd'hui par "démarche
rééducative". J'espère être assez
précis et étayer cette formule écrite il y a
quelques années par F. Dolto : "La rééducation
n'est ni plus ni moins que la psychothérapie, c'est autre
chose". Formule que l'on pourrait reprendre sous une autre forme,
tout aussi pertinente "La rééducation n'est ni plus ni
moins qu'une démarche didactique, c'est autre
chose"...
La rééducation
s'inscrit en effet dans cet entre-deux, entre pédagogie et
thérapie, sur la scène scolaire, avec des enfants
précis pour lesquels, sans l'apport de cette démarche,
il manquerait un maillon essentiel dans le large éventail des
aides intra et extra scolaires.
Voici donc l'histoire du suivi
rééducatif d'un enfant. Prénommons-le
André. Toute histoire appelant un titre, j'ai retenu comme je
le fais pour la plupart de mes monographies une parole marquante
d'André, formulée vers la fin de la
démarche...
"Moi je suis en forme pour l'école, c'est sûr !"
INSTRUMENTATION PRATIQUE
LE SUIVI D'ANDRÉ EN
RÉÉDUCATION INDIVIDUELLE
"Moi je suis en forme pour
l'école, c'est sûr ! "
1. L'évolution de l'enfant en
CE1
André régresse
au fil de son CE1. Les acquis pourtant convenables à l'issue
du CP se dissolvent dans un comportement de désinvestissement
massif, un refus de coopération en classe ou dans le cadre des
remédiations pédagogiques ASDP. Nous sommes à un
tournant : jusque là confondu dans l'ensemble des enfants en
difficultés André amorce un processus d'échec.
On parle de bilan psychologique, d'orientation probable. Divers
éléments émergent pour rationaliser ces
projections, dont les éléments relatifs au milieu
socioculturel de l'enfant. Nous y reviendrons. J'ai par ailleurs en
mémoire mes doutes et insatisfactions relatifs au suivi
d'André en CP dans le cadre d'un suivi de groupe que j'avais
conduit : André m'avait paru suivre le mouvement dans ces
séquences médiatisée par des jeux
psychodramatiques, ne jamais vraiment exprimer sa
problématique, être bien plus objet que sujet de
"l'intersubjectivité groupale" caractérisant la
médiation choisie à ce moment-là. Lors de la
concertation décisionnelle de Pâques 97, les membres
spécialisés optent en conséquence pour la mise
en oeuvre d'une rééducation
individuelle.
2. Quelques séquences du suivi
individuel
Il m'était difficile de
rendre compte in extenso du suivi dans le cadre de cette
intervention. J'ai donc sélectionné les moments
clés en tentant de préserver la cohérence de la
démarche.
Séquence 1 : 29 avril 97
André vient donc seul dans la salle pour la première
fois. Il s'installe spontanément sur le tapis, comme les
enfants du groupe avaient coutume de le faire lors des
séquences collectives.
Je l'interpelle et lui demande de me rejoindre à une petite
table installée dans un coin de la salle.
Je tente alors de lui expliquer les raisons de nos rencontres
désormais en interrelation individuelle. Je m'appuie sur trois
axes précis, son histoire scolaire, une description
concrète du nouveau cadre d'intervention, les objectifs de
cette démarche.
-1/. Son histoire scolaire : il s'agit de réactualiser son
cheminement passé dont je lui rappelle les différentes
étapes. Depuis plusieurs semaines, il ne parvient plus du tout
à s'impliquer en classe. Sa maîtresse nous le
décrit comme un enfant incapable de travailler. Il garde
certains acquis mais n'évolue plus du tout.
-2/ Une description concrète du nouveau cadre de
l'intervention : André semble très anxieux, je lui
propose une représentation tout à la fois
précise et ouverte du cadre des séquences. Il y aura
trois moments : la lecture d'un livre par l'adulte, mais il choisira
toujours le livre parmi ceux proposés. Suivra une
activité : il choisira entre divers médiateurs que je
présente sommairement (marionnettes, pâte à
modeler, jeux à règles, matériel moteur).
Troisième et dernier moment : le dessin, "obligatoire", mais
dont le contenu restera toujours à son initiative,
réalisation suivie d'un entretien. La séquence durera
trois quarts d'heure, toujours dans cette salle. Les productions
seront conservées dans le dossier posé entre nous. Par
ailleurs je rencontrerai ses parents : je lui lis et explicite le
courrier mis en forme à leur attention.
-3/ les objectifs de cette nouvelle démarche : je
précise à André que ce travail a pour objectif
de lui permettre de reprendre pied en classe, de réussir
à travailler, d'en avoir envie étant entendu qu'il en a
les capacités, à mon avis, en regard de son
évolution scolaire passée.
André m'écoute attentivement, surpris, nerveux. La
séquence peut alors se dérouler.
1. Livre
André choisit "Boucle
d'or et les trois ours" parmi la dizaine d'albums
présentés. Cette histoire revenait à plusieurs
reprises dans les séquences de jeu psychodramatique de groupe.
Les ours père et mère étaient des supports
projectifs récurrents sur lesquels André aimait
travailler, même si les mises en scène
créées par les autres enfants lui échappaient
sans doute souvent. Au moins retrouve-t-il aujourd'hui
l'histoire-source dans ses contenus les plus
dépouillés.
2. Activité Logiquement si
cette prise en charge individuelle se vivait pour lui dans le
prolongement des démarches de jeux psychodramatique, nous
allions travailler aujourd'hui avec les marionnettes. Ces
médiateurs recelaient diverses figures longuement mises en
scène au fil des séquences de psychodrame. En fait
André entre dans ce nouveau travail comme les autres enfants,
en recherchant la sécurité d'un jeu à
règle qu'il dit connaître, "Le cochon qui rit".
L'utilisation qu'il va en faire n'est pas anodine.
André sort les divers éléments du jeu. Je ne lui
donne aucune règle et l'invite à en découvrir
une pour que nous puissions jouer ensemble. Il tâtonne,
construit son cochon, je l'imite. Ce n'est pas très riche...
Je lui signale qu'il a omis les dés mais persiste à lui
laisser toute initiative. Il propose alors de les lancer et de
déplacer notre cochon à tour de rôle sur le tapis
en respectant les points indiqués par chacun des trois
dés. Puis la règle s'affine. Les deux cochons sont
placés à l'intérieur de la boîte de jeu.
On lance les dés à tour de rôle. On sort de la
boîte, on se déplace, "les cochons vont manger de
l'herbe", puis on revient dans la boîte.
Lorsque la règle est clarifiée, je l'écris en
l'incitant à m'aider : on lance les dés, on saute hors
de la maison, on va manger de l'herbe, on revient à la maison,
on a gagné si on est le premier dans la maison. Nous faisons
quatre parties. Je gagne quatre fois. Et pour cause !
L'espace sur lequel s'opèrent les déplacements des
cochons ne comporte aucune case ou repère. De ce fait les
déplacements des cochons, même si les dés en
définissent le nombre, restent totalement aléatoires
quant à leur longueur. Jouant sur cette caractéristique
je me déplace autour de la boîte et, dès le
second jet de dés, je saute à l'intérieur. Bien
sûr André pourrait faire de même. Mais il s'y
refuse, ne parvient pas à prendre le dessus.
Je l'interroge à l'issue de la troisième partie :
- Pourquoi je gagne à chaque fois à ton avis
?
- Parce que t'es plus fort, parce que t'es meilleur. Parce que
tu sais jouer".
Je note en outre que pendant le jeu il est très tendu,
même s'il reste souriant, impliqué : il tremble,
détruit à plusieurs reprises son cochon en
précipitant ses mouvements.
3. Son dessin appelle les commentaires suivants de sa part : Il dit
avoir représenté "Une maison avec un arbre et une
machine qui fait des orages, enfin des nuages, ça pleut. La
maman regarde la télé. Le bébé
s'assoit... Le papa est assis." Il s'impose cette remarque mais
constate qu'il n'a pas dessiné le père.
- Je ne vois pas ce troisième personnage, André.
Peut-être est-il assis sur ce fauteuil entre la mère et
le bébé, enfoncé dans le fauteuil et on ne la
distingue pas ? Mais peut-être ne l'as tu pas dessiné
?
- Oui, c'est qu'il est allé aux courses pendant que la maman
fait à manger. Le lit du bébé est tout en haut.
(Il désigne la lucarne)
Comme il convient de le faire
à l'issue de chaque séquence vécue avec un
enfant, je tente d'opérer un...
Retour sur cette
séquence
La phase de jeu nous
révèle un enfant inscrit dans une logique
d'échec. Il semble postuler son ignorance, son
incapacité à gagner et les règles qu'il met en
place concrétisent cette perception de lui-même. On peut
s'interroger sur cet interdit de savoir, y lire peut-être la
mobilisation des pulsions épistémophiliques sur un tout
autre registre. On pressent des processus d'individuation
bloqués, une dévalorisation narcissique certaine.
Les médiations groupales antérieures
répétaient sous leurs formes symptomatiques manifestes
les difficultés d'André sans permettre un
repérage des contenus sous-jacents. Dès la
première séquence de rééducation l'enfant
exprime ces contenus, les rend plus sensibles à l'adulte et
à lui-même en le délestant des
représentations-obstacles à l'évolution (entre
autres, et c'est une de ses fonctions, par le biais du dessin
ciblé sur l'économie familiale).
Contact initial avec la
famille. Le 30 avril 97, deux jours après cette
séquence, la mère me contacte par
téléphone. Elle ne l'avait jamais fait auparavant
à la suite des deux courriers l'informant du suivi
d'André en groupe. J'explique sommairement les raisons du
suivi individuel en lui précisant qu'il s'inscrit dans la
logique des démarches dont elle connaissait l'existence depuis
l'an passé.
- Est-ce que ça veut dire qu'André va aller en
perfectionnement à Guîtres ? Parce que ses deux
frères aînés sont en perfectionnement et...
Je précise que mon intervention a pour objectif premier de
permettre à l'enfant de suivre en classe et de continuer un
cursus scolaire normal.
- Oui, je crois qu'André veut aller en perfectionnement
à Guîtres avec ses frères. Il nous a entendu en
parler avec mon mari et depuis je crois qu'il s'est mis cela en
tête.
- Son père et vous pensez ou désirez qu'il aille en
perfectionnement ?
- Non... enfin on a fait beaucoup pour André. Il a suivi
l'orthophonie trois ans. Il vient juste d'arrêter avant les
vacances de Pâques. L'orthophoniste voulait poursuivre mais
trois ans déjà... J'ai quatre enfants, les deux
premiers sont en perfectionnement. Remarquez ils ne sont pas mal.
Mais quand même André semblait pouvoir faire quelque
chose. On aurait voulu...". La mère semble d'accord pour me
rencontrer à l'école dans une ou deux
semaines.
Séquence 2 : 13 mai
97
(...) 2.
Activité André
s'oriente vers un médiateur particulier : la pâte
à modeler. Nous travaillons sur une petite table, nous mettons
en forme un dispositif qui, à sa demande, comprendra une
maison dans laquelle vivent la mère, le père, le
bébé (ou l'enfant, il varie la désignation).
Puis il demande un loup.
- Ce sont les trois petits cochons.
- Cette situation te fait penser aux histoires que l'on jouait en
groupe. Mais ce ne sont pas les petits cochons, tu m'as dit qu'il y
avait un père, une mère, un enfant.
- Il est drôle le loup, on dirait ça c'est la
grand-mère, ça le petit chaperon rouge et ça la
maman."
Manifestement les contes interfèrent dans les
représentations d'André. Réminiscences du
vécu antérieur, besoin de se dégager des images
trop précises désignées pendant la phase de
modelage ? J'insiste une nouvelle fois pour garder ces
premières projections : elles avaient émergé
spontanément et il me semble important de les maintenir.
Lorsque j'invite André à imaginer une histoire, il
prend le rôle du père, très décidé.
(Moi, je suis le papa.) Le loup qu'il me demande de jouer va frapper
à la maison.
- Qui c'est ?
- C'est moi, le loup. Ouvrez-moi la porte.
- Je veux pas te voir.
- Pourquoi ?
- Parce que tu es méchant.
Le loup commence à démolir la barrière pour
entrer dans la maison des trois personnages. André
décide que ces personnages vont s'échapper. Il vont
aller "au travail du papa". À sa demande nous faisons donc une
pause pour construire une seconde maison à l'autre
extrémité de l'aire de jeu. Ce sera "la maison du
travail". Suit alors une phase du scénario durant laquelle le
loup parvient à pénétrer dans la maison de la
famille. Il cherche partout. Pendant ces recherches le père
navigue de "la maison du travail" aux abords de sa maison et informe
sa famille des actions du loup. Lors d'un de ses passages le
père répare rapidement la clôture. Finalement
André dit que le loup rentre chez lui : pause,
matérialisation de la maison du loup. Tous les personnages
sont posés sur la table. André raconte ce qui s'est
passé jusque là. Lorsque nous reprenons l'histoire,
André veut prendre le rôle du loup, je deviens le
père.
Le père cherche à voir ce que fait le loup. Le loup le
poursuit.
- Ouah !!! Le loup va lui manger la tête et il va rentrer dans
la maison des autres.
- Au secours ! crie le père.
- Le loup l'attrape, le fait cuire dans la soupe. Et il va
défoncer le mur là. Il a mangé la maman,
ça y est, miam, miam !
Le bébé que je joue désormais s'échappe.
Il rentre chez lui. Mais le loup le poursuit.
- Il va le manger, s'exclame André très excité,
ça y est !
Le loup se retire alors chez lui. André "entasse" les corps
des trois personnages à côté du loup victorieux.
J'attends quelques secondes, André ne semble pas vouloir
poursuivre le scénario. Je lui propose de poser les
personnages, de nous reculer un peu de la table et de raconter
l'ensemble du scénario. André en parle ainsi :
"Il était une fois le loup qui voulait manger le papa, la
maman et le bébé. Il défonce la porte. Le papa,
la maman et le bébé s'échappèrent et
allèrent au travail du papa. Et le loup a
défoncé le truc. Le papa est allé dans la
forêt et le loup est parti faire de la soupe. Le papa est venu
dans la maison du loup et il s'est fait manger. Et moi j'y suis
allé...
- Moi ?
- Le loup est allé chercher la maman et le bébé
au travail pour les manger. Mais le bébé s'est
échappé et le loup l'a mangé dans sa maison
à lui. Ils sont tous mangés."
3. Son dessin appelle les
commentaires suivants de sa part : "C'est la mamie, la maman, le
bébé. La mamie est malade. Sur le toit il y a un feu,
ils le laissaient toujours parce que la mamie a froid. Des nuages qui
éteignent le feu. La maman et le bébé vont chez
un copain. (Noter l'absence du père)."
Retour sur cette
séquence
Lors de la mise en oeuvre du
scénario il tient successivement deux rôles. Dans le
rôle du père il n'attaque pas le loup. Il se
réfugie avec sa famille à son travail, donne des
informations sur les activités du loup mais reste impuissant
à trouver une quelconque solution.
Logiquement André souhaite ensuite jouer le loup et
décime un à un tous les protagonistes. La famille ne
semble pas représenter une cellule solide, résistante
aux agressions extérieures. André place le père
au premier plan mais l'enfant offre plus de résistance au
loup, même si, isolé, il ne parvient pas à se
sauver.
Nous retrouvons les modalités d'investissement
coutumières à ce type d'activité : le principe
de plaisir guide le scénario. Le rééducateur a
recours à diverses techniques pour laisser l'enfant avancer
dans son histoire au grès des associations libres, des
fantasmes mis en actes. Cet accompagnement imaginaire permet à
André d'explorer ses représentations, de les mener sans
censure jusqu'à leur finalité logique et
inconsciente.
Quittant ensuite le registre imaginaire de l'activité, le
rééducateur propose à l'enfant de retrouver le
cheminement suivi : la mise en forme oralisée permet à
André de repérer ce qu'il avait joué sans
contrôle. Ce retour au principe de réalité
vectorisé par le langage, lui restitue alors de manière
plus distanciée, secondarisée, le contenu des actions,
sans doute une partie de leur sens latent.
Séquence 3 : 21 mai
97
(...) Jeu à
règle choisi spontanément, le plus facile du lot.
André développe des stratégies opérantes
et je le félicite à plusieurs reprises. En cours de
jeu, alors que j'ai gagné précédemment je lui
demande s'il pense pouvoir gagner à son tour :
- Oui, je peux gagner, c'est les dés...
Toute la seconde phase "activité" de cette séquence est
consacrée à ce jeu.
Son dessin appelle les commentaires suivants de sa part :
"Là un bébé, là maman, là le papa,
là les trois lits, là un arbre, là des pommes,
là des flaques, là des nuages, deux soleils, un
là, un là, il pleut. Ils regardent la
télé, ils mangent, après ils montent, ils
dorment chacun dans un lit, là la maman, là le papa,
là le bébé."
- D'accord. Je vais rencontrer tes parents et leur expliquer le
travail que nous menons ensemble le mardi matin. De ton
côté tu as maintenant bien repéré ce dont
il s'agit, es-tu d'accord pour continuer ?
- Oui
Retour sur cette séquence. André choisit un
médiateur très facile. Il me semble à la fois
tester l'aspect sécurisant du cadre, la fiabilité de
l'adulte garant (qui lui avait offert cette possibilité de
choix régressif) et se réassurer narcissiquement par le
biais d'une activité dont il maîtrise aisément
les règles.
Le dessin est envahi d'éléments fantasmatiques :
André représente le père pour la première
fois, et pose la question des interactions entre les trois
personnages de cette famille. À ce jour, André investit
un espace sécurisant, doté des composantes
premières de toute transitionnalité : il s'y exprime en
toute confiance. Poser les problèmes à travers le
dessin amorce un travail psychique dont la rééducation
vise l'accomplissement.
Séquence 4 : 28 mai
97
(...) 2
Activité André s'oriente vers les marionnettes.
Dispositif/personnages : quatre maisons représentées
par des cerceaux respectivement occupées par une
grand-mère, un cochon, un loup, un méchant.
Scénario : le loup (André) téléphone
à la grand-mère pour lui annoncer qu'il va la manger.
Il se rend chez elle, défonce la porte, la mange. Il dort puis
téléphone au cochon, se rend dans sa maison et se
faisant passer pour la grand-mère, se fait ouvrir la porte,
dévore le cochon. Il dort puis il téléphone au
méchant, se rend dans sa maison et se fait passer pour la
grand-mère. Mais (sur suggestion d'André) le
méchant n'est pas dupe, reconnaît le loup et refuse
d'ouvrir. Le loup entre en force, il est tué et
dévoré par le méchant.
Ce scénario est rejoué avec inversion des rôles :
donc, lors de la seconde mise en jeu, André joue tour à
tour la grand-mère, le cochon et le
méchant.
3. Son dessin appelle les
commentaires suivants de sa part : "Le bébé il mange
avec la maman. Ils mangent de la sauce. Le papa est là. Ils
regardent la télé, il pleut. Après manger ils
vont au lit, il y a des éclairs qui sortent après. Le
petit a peur des éclairs. Un soleil... le soleil est
caché avec le nuage. J'ai pas fait le nuage qui cache le
soleil. Une fenêtre... La chambre du bébé, de la
maman, du papa."
Retour sur cette
séquence
Pendant la phase de jeu
André se projette totalement dans les rôles sur un mode
très pulsionnel. Il m'étonne lorsqu'il décide
l'exécution de son loup par le méchant, ("parce qu'il
est le plus fort"). Il éprouve ensuite des difficultés
pour restituer le scénario, omet des étapes.
Au-delà de la dévoration, la problématique
"voir- ne pas voir " dynamise le scénario. Cette pulsion
scopique, préalable aux pulsions
épistémophiliques, peut aussi s'interpréter,
dans la manière dont elle fonctionne ici, comme un
questionnement sur le savoir.
On retrouve ce type d'interrogation dans le dessin : les
mêmes thèmes s'y trouvent abordés (manger,
dormir, ne pas voir ce qui se trame dans la chambre en raison des
éclairs, le soleil visible mais qu'il aurait voulu cacher par
un nuage...). A l'inverse de la mise en acte fantasmatique
médiatisée par les marionnettes les thèmes se
contextualisent dans le milieu familial, engendrant une approche
symbolique de la réalité .
Démarches
complémentaires
Je rencontre la mère
puis les deux parents : ils coopèrent à minima à
la mise en forme du projet d'aide contractualisé
(enseignante/rééducateur/famille). Ils pensent
qu'André veut rejoindre ses frères en perfectionnement,
estiment qu'il devrait en être autrement, n'en semblent pas
vraiment convaincus. La réussite d'André,
au-delà de la trajectoire de ses aînés, le
situerait également dans un cursus scolaire
"échoué" par ses parents.
Par ailleurs, un premier travail mené en supervision sur
l'évolution de cette démarche atteste de
l'obscurité dans laquelle évolue l'enfant. L'espace
familial est vécu de manière ambivalente :
sécurisant mais interdisant toute individuation, clos,
suggérant un extérieur social menaçant dans
lequel il ne peut ni ne veut exister. La dynamique
rééducative l'interroge sur ses résistances et
les stratégies rationalisantes (cf. le jeu dans lequel il perd
systématiquement) semblent reculer, lui permettant ainsi de
quitter une position masochiste passive pour aborder la
problématique oedipienne. Ces avancées restent
anxiogènes et la rééducation devra l'aider
à explorer d'autres modalités d'investissement,
à interroger en sécurité l'au-delà d'un
espace psychique banalisé par les défenses
inopérantes.
Séquence 5 : 3 juin
97
A la demande de l'enfant,
consécutive à la venue de ses parents, la
séquence s'amorce par un entretien : nous évoquons plus
particulièrement la classe de perfectionnement. A ces mots,
"classe de perfectionnement ", grand sourire d'André :
décidément il s'y voit déjà ! Je
reprécise mes attentes, j'adopte une attitude très
ferme : André marque le coup, autant surpris par cette
manière déterminée d'envisager la
réalité que par mon refus d'alliance sur ce
projet.
2. Activité Il choisit
aussitôt le jeu de "Qui est-ce ?" et passe par une phase de
confusion totale, échouant à mobiliser des cognitions,
à accéder à une quelconque efficience : il s'en
étonne lui-même. Puis il reprend pied et met en oeuvre
des stratégies opérantes, complexes. Je souligne sa
progression. Tous cela fonctionne comme une métaphore de
l'entretien, à l'image de sa position actuelle sur la voie des
apprentissages.
3. Son dessin appelle les commentaires suivants de sa part :. "Il
pleut, maman, papa, bébé dans une maison, ils regardent
la télé, mangent. Le loup boit dehors et y'a un requin
dans une mare. Des numéros pour savoir combien c'est de 0
à 0. Le petit garçon voudra sortir et le loup
l'emmènera chez lui pour le manger. Les parents le cherchent,
le père se fait pas manger, la mère oui. Le père
lance un bout de bois et le loup est mort."
Alors que la maîtresse
signale une nouvelle régression importante en classe, la
sixième séquence (sur laquelle je fais une impasse ici)
est également médiatisée par un jeu à
règles selon des modalité voisines de celles
observées avec le "Qui est-ce ?". Le dessin témoigne
une nouvelle fois du travail en cours de réaménagement
intrapsychique.
Séquence 7 : 24 juin
97
André rentre dans la
salle en s'exprimant sur son avenir : "Je passe (en fait il y reste)
en CE1, puis j'irai en CE2, en CM1, en CM2. Un jour j'irai dans
l'école des grands." Ce discours spontané laisse
présager une séquence importante. Pourtant, la
maîtresse m'a signalé un problème
d'énurésie la veille à
l'école.
2. Activité André
choisit spontanément la pâte à modeler et nous
mettons en forme : père et mère loup, serpent, un
monsieur et un policier. A l'issue d'une mise en jeu très
animée, je rédige le scénario suivant sous sa
dictée.
"Il était une fois un serpent qui voulait manger le monsieur.
Mais le monsieur appelle la police et le policier arrête le
serpent. Le lendemain matin, maman loup voulait manger le monsieur,
elle lui téléphona pour lui annoncer. Elle arrive chez
le monsieur, frappe à la porte, souffle pour essayer
d'écraser la maison. Elle passe par la cheminée. Le
monsieur capture la maman loup et il l'amène au policier qui
la met en prison. Le lendemain le papa loup veut manger le monsieur.
Il essaie de démolir la maison, échoue, passe par la
cheminée. Le monsieur a fait du feu et il capture le papa loup
pour le conduire chez le policier qui le met en prison. A la fin le
monsieur et le policier sont allés manger ensemble au
restaurant, ils ne craignent rien parce que tous les trois sont en
prison."
3. Son dessin
appelle les commentaires
suivants de sa part :. "Quand il pleut. Le bateau y'a des bonshommes
qui vont en vacances. Il y a le requin dessous qui veut manger les
petits enfants qui jouent au ballon. Le garçon c'est le CE1,
le grand. Le petit c'est le CP."
Retour sur le scénario
: jusqu'à présent les images parentales
n'émergeaient dans les dessins ou les scénarios que
dans un espace clos au sein duquel l'enfant restait totalement
dépendant. Tout l'extérieur restait menaçant,
fantasmé, sans interaction possible et, sur le même
mode, toute interaction intra-familiale ne pouvait engager une
évolution de l'enfant. Ici les images parentales sont
présentes : mère loup, père loup. Elles sont
associées au serpent, entrent dans une structure disjointe du
héros (autre maison) et viennent à tour de rôle
jouer le rôle de l'agresseur. Le héros
désigné comme "le monsieur", personnage auquel il
s'identifie en le jouant tout au long du scénario, n'est
jamais en position d'impuissance. André se
réfère à un autre personnage, le policier, avec
lequel il noue une alliance tacite : cette instance surmoïque
nouvelle n'est plus la parenté (le policier métaphorise
le rééducateur avec lequel l'enfant s'est allié
pour envisager un cheminement). Par leurs actions conjuguées
le héros et le policier se protègent des agresseurs en
les mettant en prison et accèdent à une nouvelle forme
d'harmonie, un accès au plaisir matérialisé par
le repas final. Cette alliance avec les instances surmoïques
constitue une nouvelle étape dans l'évolution objectale
de l'enfant : qu'il en présentifie ici la possibilité
montre sa capacité à sortir des scénarios
initiaux au fil desquels aucune individuation n'émergeait.
Cette alliance avec les instances surmoïques joue une rôle
déterminant dans le scénario oedipien puisque leur
internalisation reste, on le sait, un préalable à toute
avancée significative.
Dans son dessin il introduit pour la première fois un
quatrième élément, lui-même, engagé
dans une logique nouvelle. André sort de la fusion : la
dynamique surmoïque internalisée lors du scénario
conduit à une prise de conscience de soi, une sortie de la
confusion jusque-là prégnante dans les dessins.
S'identifiant à l'enfant, il sort (du bateau en l'occurrence)
ose affronter les éléments externes, comme il a
osé agresser et être agressé dans le
scénario. Désormais les éléments
matriciels ne sont plus les seuls contenants, l'individuation en
marche induit cette confrontation à la castration, angoisse et
menaces à la clé. Le requin symbolise cette menace
engendrée par la séparation angoissante avec l'image
maternelle.
Séquence 8 : 12 septembre
97.
Reprise à l'issue des
grandes vacances
2. Activité Il prend le jeu des cochons qui rient et rejoue
spontanément ce qu'il avait mis en scène lors de notre
première rencontre duelle. Nous nous souvenons des
déplacements aléatoires, de la façon dont il
perdait systématiquement. Aujourd'hui il joue tout cela bien
plus logiquement... et gagne dès qu'il en a la
possibilité. Ce jeu n'a plus aucun intérêt.
Nous le transformons en introduisant des règles de
déplacement. Je propose d'utiliser des jetons qu'il appelle
immédiatement "des pas" : il anticipe en fait le dispositif
que je mets en place. Le jeu devient opérationnel, nous
n'écrivons pas la règle, elle est très simple.
Il a du plaisir à jouer, il dicte les résultats que
nous inscrivons sur la feuille du jour puis il demande le dessin,
montrant la persistance du cadre dans son esprit après les
deux mois d'interruption.
3. Son dessin appelle les commentaires suivants de sa part :. "Il y a
un papa avec maman, avec un bébé aussi. La famille s'en
va chercher des pommes. Il pleut. Ils volent, le papa, la maman, le
bébé."
Suivent trois séquences
médiatisées par des jeux à règles de plus
en plus complexes, spontanément choisis et autour desquels il
mobilise des stratégies cognitives opérantes. Les
signifiants scolaires l'attirent de plus en plus. Les dessins
démontrent les avancées personnelles même si la
mise en jeu fantasmatique n'occupe plus la phase centrale des
séquences.
Séquence 12 : 6 novembre
97
2. Activité André choisit des figurines très
réalistes sur le thème Blanche Neige et les sept nains.
Il conduit le scénario, j'interviendrai peu, seulement par le
biais d'actions marquant l'accompagnement imaginaire autour de la
trame fictionnelle. André joue successivement les
différents nains partageant leur demeure avec Blanche Neige.
Ils viennent à la rencontre de la sorcière que je joue.
Celle-ci doit demander à chacun d'eux s'il connaît
Blanche Neige. Ils répondent tous "Non on ne la connaît
pas. On ne sait pas qui c'est. On ne l'a jamais vue."
Mais peu à peu la sorcière progresse vers leur maison
et se retrouve face à Blanche Neige : il prend ce rôle.
La sorcière doit alors lui proposer une pomme. La jeune fille
accepte la pomme et s'écroule à terre. ("Elle est
malade... Heu, non, foutue !"). Les nains l'entourent. André
crée une scène émouvante à regarder tant
les figurines sont réalistes. Nous sommes émus l'un et
l'autre, aucun échange, il regarde cette scène. Puis
les nains sous son contrôle accomplissent deux actions : deux
d'entre eux poursuivent la sorcière et la tuent "en lui
coupant la tête", les autres s'éparpillent maintenant
dans la forêt, cueillent des plantes et des fleurs et
créent une boisson. Ils sauvent Blanche Neige et lui racontent
ce qui s'est passé.
Nous passons directement
à un jeu à règles . Nous utilisons les
repères du tapis de sol (circuit routier). Deux nains joueurs
doivent en lançant le dé parvenir à la maison de
Blanche Neige. J'ai placé là un questionnaire : si l'on
répond aux questions (2 ou 3 par fiche) on peut amener Blanche
Neige dans sa maison. André parvient à lire les
questions.
J'ai introduit ce jeu pour permettre à André de se
décentrer totalement du jeu d'expression dramatique et d'en
réinvestir les signifiants sur un registre cognitif.
J'ai choisi de m'arrêter quelques instants sur cette
technique rééducative. Elle repose sur le postulat
suivant :
- dans le jeu symbolique, des symboles (donc des signifiants
auxquels sont arbitrairement associés des signifiés)
sont mis en fonctionnement par l'enfant. Ils sont le produit d'une
activité imaginaire qui lui est propre. Le
rééducateur retient ensuite certains symboles qu'il
"vide" de leurs signifiés (c'est ici le cas des deux nains, de
Blanche-Neige) et met en scène sur une nouvelle
chaîne signifiante, le jeu à règles, chaîne
gérée non plus par l'imaginaire de l'enfant mais par le
registre cognitif commun aux deux joueurs.
Cette nouvelle mise en scène n'est accessible à
chaque enfant qu'en fonction de son évolution et certains
d'entre eux n'y accèdent que tard dans la
rééducation (ou jamais ce qui est alors l'indicateur
d'une impossibilité à quitter le registre imaginaire et
induit un travail très ciblé sur ce registre, une
psychothérapie).
André, un instant
désarçonné, investit activement le
jeu.
Cette seconde phase du moment
activité vise donc l'émergence de processus de
symbolisation en permettant à André de quitter la
scène imaginaire. Jusque là, l'enfant jouait dans un
contexte émotionnel chargé les éléments
problématiques de son histoire. Je lui propose maintenant
d'investir le registre de la communication, de passer sur une
nouvelle scène où il va être compris. Les
règles de fonctionnement introduites lui permettent alors de
quitter l'aléatoire du registre imaginaire pour passer au
registre symbolique matérialisé par des codes
acceptés, connus par les interlocuteurs en
présence.
André peut ainsi
quitter le clivage imaginaire / savoir et relier son savoir à
ses pulsions, prenant conscience qu'elles peuvent emprunter de
nouveaux chemins dont il gardera la maîtrise. Dans ce
mouvement, la partie sublimée de la pulsion sexuelle passe
dans la règle du jeu. Sans doute le codage sous-tendu par
l'usage du fichier question, de la lecture donc, joue-t-il ce
rôle d'affectation de la façon la plus
évidente.
3. Son dessin appelle les commentaires suivants de sa part : "Un
pirate est sur des planches car son bateau est tout cassé.
Partout y'a des planches (les traits horizontaux). Il a des crampons.
Le soleil brille et y'a toutes les planches cassées. Y'a un
requin, non un épouvantail qui veut emporter le pirate... et
après y s'en va l'épouvantail. Y'a un truc là
(il désigne les traits reliés aux planches qu'il a
dessinés en lieu et place du sexe), un outil qui le coince
pour pas qu'il s'en va avec l'épouvantail... Le soleil qui
brille."
Retour sur cette
séquence
André semble jouer
là toute son ambivalence du lien à la mère
symbolisée par Blanche Neige. Comment l'attaquer sans la
perdre ? Déléguer la sorcière. Il est
désormais sujet, plus à l'aise dans son rapport aux
objets d'attachement. C'est ensuite un collectif socialisé,
les 7 nains, qui agit et met en oeuvre des stratégies pour
faire évoluer le scénario. Dans le droit fil de cette
individuation conquise, la problématique de la sexuation
émerge dans le dessin.
Dans les deux séquences
suivantes (sur lesquelles j'ai ici fait impasse) il reprendra des
marionnettes ou figurines mais les mettra désormais en
scène en associant des dés, des fiches questions : ce
transfert spontané des objets médiateurs sollicitant
l'imaginaire vers des médiations cognitives marque une
évolution solide qui se traduit d'ailleurs en classe par un
comportement positif et des réussites
régulières.
A l'issue d'un jeu qu'il avait complexifié à outrance
dans la spatialisation et les règles il gagne une partie et
s'exclame : "Moi je suis en forme pour l'école, c'est
sûr !"
Les trois dernières
séquences sont consacrées à la construction d'un
jeu d'écrit présenté ensuite à sa classe.
Nous sommes en fin de rééducation. André va
devoir désinvestir le travail réalisé dans
l'espace rééducatif, opérer un transfert
d'investissement sur la classe.
C'est un travail évolutif qui requiert un certain temps
et des stratégies appropriées (d'où la
recentration sur des signifiants scolaires). André a
maintenant intégré les éléments qui ont
émaillé son cheminement. Cette réappropriation
lui permet désormais de disposer d'une organisation
intra-psychique plus adaptée, de renoncer peu à peu aux
bénéfices secondaires générés par
son ancien rapport à la réalité. Encore faut-il
proposer en classe, ainsi que dans l'espace où s'est accomplie
la progression, des situations laissant une place à
l'investissement cognitif.
Dans cette phase engagée par le biais de ce projet
à dominante pédagogique, le rééducateur
jusque-là "accompagnant" devient "intervenant". Une mutation
aussi marquée n'est pas toujours aussi manifeste que dans le
cas d'André.
Il s'investit beaucoup,
dispose désormais d'un bon niveau de lecture, en prend
conscience. La rédaction des cartes qui médiatisent le
projet de clôture ne lui pose aucun problème, il dispose
même d'une orthographe spontanée
étonnante.
Une dernière rencontre
enfant, enseignante, famille, rééducateur conclut cette
démarche à la fin du premier trimestre.
CONCLUSION
Un parcours typique : de
l'élève à l'enfant.
Les diverses
remédiations entreprises n'avaient pu enrayer le processus
d'échec dans lequel semblait pris André avant la
rééducation individuelle. Essayons de repérer
pour conclure comment cette dernière approche a
opéré.
Les repères
socioculturels et codes activés par l'école pour
l'évolution de cet élève ne corrélaient
guère avec ceux dont il était porteur. Nous savons
combien la prise en compte des facteurs sociaux dans la formation des
systèmes culturels permet de concevoir la culture comme un
ensemble plus ou moins cohérent en construction constante.
Cette acception de la dynamique culturelle laisse entrevoir une part
de jeu, un "interstice dans lequel se glisse la liberté des
groupes et des individus pour manipuler la culture" .
Gardons en mémoire l'existence de cette interface tout en
notant que l'évolution d'André semblait engagée
: n'étant ni psychotique ni autiste, il avait amorcé
son évolution personnelle en amont de l'école et, peu
ou prou, ce qui est plus singulier, dans ses premières
années de scolarité.
Pourtant cette
évolution cesse, au plus profond de ses représentations
: c'est à dire lorsqu'il reconstruit peu à peu les
signifiants scolaires par le biais de ses productions fantasmatiques.
Comme tout enfant, puisque c'est le propre de l'économie des
représentations. Lorsqu'il projette ses représentations
sur l'école, lorsqu'il les traduit en actes, il traverse deux
phases distinctes :
- il adhère partiellement, répond à la
demande et, diverses sollicitations à l'appui, il semble
apprendre à lire. Il est encore élève. Leurre
!
- en fait, quelques mécanismes cognitifs
artificiellement stimulés lui permettent de faire face aux
exigences du groupe social. Mais rien n'est relié dans son
économie psychique à la dynamique fantasmatique. En
clair il apprend sans stimulation des processus de symbolisation dont
la fonction première assure une équilibration constante
entre registre imaginaire et registre symbolique. Je serais
même tenté de dire qu'apprendre à lire à
creusé le fossé entre la pensée fantasmatique et
les contenants de pensée symbolique. Ce
déséquilibre opéré il ne peut plus
suivre... et dans un second temps, au-delà d'un
élève en difficulté ou en échec, dans un
deuxième temps, un enfant en détresse émerge et
s'effondre dans le quotidien scolaire.
On pourrait dire plus simplement qu'il avait appris à lire
sans aucun accès au sens de ce qu'il lisait et plus largement
au sens de cet acte dans sa globalité.
Cet exercice artificiel associé aux autres exigences scolaires
tout aussi étrangères à son identité
creusent en lui un tel fossé qu'il baisse les bras et nous dit
son malaise...
de façon bien sûr très
dérangeante.
La rééducation,
démarche dérangeante ?
- Le rééducateur
prend en compte l'entité de l'enfant dans ses fonctionnements
archaïques, préexistants à l'imposition scolaire,
il ouvre une aire intermédiaire dans laquelle il accueille,
accompagne, limite, aide à la symbolisation toute
l'économie individuante mal engagée de l'enfant. Cette
aire intermédiaire matérialise l'interstice dans lequel
André, comme tout enfant, confronte ses représentations
personnelles aux contenus groupaux socioculturels
véhiculés par l'école.
- Sur cette aire le
rééducateur, porteur d'une éthique personnelle
et professionnelle, rencontre un enfant et organise des
médiations complexes associant techniques, moyens,
stratégies. La rééducation s'appuie sur la
visée explicite d'interagir sur l'interface culturelle
tissée entre les pôles familiaux et l'école,
c'est à dire avant tout sur le champ des
représentations de l'enfant.
- Tous les malentendus se
nouent ici ! Car il y a là bien sûr un paradoxe qu'ont
bien du mal à entendre certains partenaires ou
décideurs :
- Alors que l'on vise l'intégration d'un enfant en
difficultés, le rééducateur ne l'aborde ni
directement par le scolaire, ni par des stratégies
préventives lisibles de socialisation, ni par des
démarches systémiques exclusivement centrées sur
la triangulation enfant, famille, école.
- Alors que l'on vise l'intégration, l'inscription dans un
groupe socioculturel normé, le rééducateur
aborde cet enfant par le biais d'un travail de
réaménagement intrapsychique individuel.
Démarche pour le moins complexe, surprenante...
peut-être dérangeante ?
- Mais ce paradoxe existe au
niveau théorique : pour accéder aux rouages
inopérants entre culture scolaire et culture individuelle il
faut cibler les contenants dans lesquels dysfonctionnent ces rouages,
c'est à dire en premier lieu les représentations dont
est porteur le sujet.
- Alors, même s'il en
coûte de l'admettre, cela implique une rencontre originale dans
l'école avec cet enfant, une rééducation en
l'occurrence. Rééduquer, sous cet angle
épistémologique particulier relatif à la
problématique culturelle, c'est investir l'espace individuel
dans lequel se jouent simultanément, paradoxalement,
l'intégration culturelle et l'individuation de l'enfant.
Investir cet espace pour y faire naître un sens jusque
là inaccessible, sans lequel tout abord des apprentissages
resterait rituel ou impossible.
- Cette inscription culturelle
dans laquelle le sujet va articuler de manière nouvelle et
cohérente les éléments contradictoires de deux
cultures autorise le cheminement entre représentations
personnelles et signifiants culturels, partagés avec l'autre
dans un contexte sécurisant, scolaire néanmoins,
nécessairement scolaire. Mais ce travail
étymologiquement pédagogique d'accompagnement des
enfants sur le chemin du savoir ne s'opère pas à leur
détriment. Bien au contraire le sujet peut et doit advenir au
fil de ce parcours, le rééducateur lui en donne la
possibilité.
Dans cette dynamique synthétique c'est bien la culture
dominante qui se trouve modifiée... sans doute
dérangée ?
- Il serait pourtant bien
incompréhensible, dans une démocratie où l'on
parle tant de citoyenneté, de responsabilisation, de
système scolaire enfin centré sur l'enfant, de
maintenir dans la marge des pratiques professionnelles ayant des
objectifs aussi précis que la
rééducation.
- À moins que, à
bien y réfléchir, les actions qui visent à
construire les conditions d'individuation réelle des sujets
n'aient nécessairement une composante subversive...
certainement dérangeante ?
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|