1996 : Au cours de l'année de préparation au concours de professeur des écoles, je lis différents ouvrages sur les mouvements pédagogiques. Les techniques Freinet m'interpellent. Je comprends qu'il est possible de donner la parole aux enfants.
1998 : Premier poste dans un petit village du Blayais. Je découvre le métier. J'essaie de mettre en place le Quoi De Neuf ? et le Conseil mais c'est difficile.
Un an plus tard, je rencontre un collègue qui m'invite à lire des ouvrages de Pédagogie Institutionnelle. De quoi s'agit-il ?
Je lis Qui C'est le Conseil ? (1) et c'est le déclic. Je décide de mettre en place ce que présentent ces premières lectures. Durant cette année, je rencontre trois fois les membres du PIG avec lesquels j'entame un travail de réflexion. L'été suivant, je participe à un stage de PI à Aix-en-Provence.
Entre septembre 2001 et septembre 2003, je poursuis mon travail de recherche avec les membres du PIG, j'écris une monographie, puis ce texte. Ces écrits m'ont amenée à questionner ma pratique, à la modifier à mon rythme, à relire les fondements théoriques de la PI et à être non plus "professeur des écoles" mais une adulte qui commence à instituer, "une institutrice".


1. Mise en place du Conseil

L'année précédente, j'avais eu du mal à m'organiser pour noter les décisions du Conseil. Je décide donc cette année d'utiliser un classeur avec des intercalaires :
les métiers (cf. annexe 1) - les décisions (cf. annexe 2) - les règles et les Lois de la classe.
J'insiste sur la responsabilité d'avoir un métier.
À chaque Conseil, un bilan est fait auprès de chaque enfant. Ça va vite mais cela donne une exigence, un cadre. Ce cadre je le donne et me le donne car j'ai tendance à manquer de rigueur. Un cadre qui assure la sécurité de tous. Les enfants en cours d'année seront là pour me le rappeler.

Jeudi 5 septembre
En tant que présidente, je dis les lois du Conseil et annonce l'ordre du jour :

1. Je critique
2. Je remercie / Je félicite
3. Les métiers
4. Je propose

Pour ce premier Conseil, je note les inscriptions :
- aucun "Je critique".
- "Je remercie / Je félicite" : deux inscriptions.
- "Les métiers", Alexis, Joffrey, Nathalie et Yasine sont les premiers à demander :
Boîte et table du Quoi de Neuf ?
Ramasser le cahier du jour
Ouvrir et fermer la porte de la classe
Ranger le matériel de sport

J'annonce à la fin du Conseil qu'à partir de demain, les enfants pourront tous les jours à 16 h 15 s'inscrire seuls au cahier et que, pour les CP, je serai là pour les aider à écrire.

Jeudi 12 septembre 2003
Le cahier est vide, personne ne s'est inscrit. J'annonce :
- Le Conseil commence. Silence !
Je rappelle les lois du Conseil, je relis ce qui a été décidé la semaine précédente, puis j'annonce l'ordre du jour.
- "Je critique" : Pas d'inscription. On passe.
- "Je remercie / Je félicite" : Pas d'inscription. On passe.
- "Les métiers" : Pas d'inscription. On passe.
- "Je propose" : Pas d'inscription. On passe.
Le Conseil se termine. Les enfants sont surpris.
Je rappelle que l'on peut s'inscrire et j'annonce la date du Conseil suivant. Pendant la semaine, certains enfants disent : "Maîtresse, il me dérange quand je travaille." Je dis alors, "C'est au Conseil que l'on en parle."

Jeudi 19 septembre
Aucune inscription, mais au moment de passer aux différents points des mains se lèvent.
Je prends alors les inscriptions mais précise qu'à partir de ce jour il faut s'inscrire à l'avance, que je ne prendrai plus d'inscription à la dernière minute. Je l'avais déjà dit deux semaines plus tôt mais les enfants ne me semblent pas encore prêts.
Pourtant, je pense qu'il est important de différer, de commencer à s'inscrire seul sur le cahier. C'est pourquoi, à partir de ce Conseil-là, je m'en tiens à ce qui a été décidé.

Jeudi 26 septembre
Premières inscriptions et demandes de métiers.
Pour les métiers, j'impose une règle : chaque semaine, bilan des métiers. Pour en demander un autre, il faut avoir fait correctement son métier durant quatre semaines.
Lors de ces premiers Conseils, je m'attache à faire régulièrement le retour sur le travail collectif et les échéances. Ainsi, dès le 5 septembre, nous décidons de fabriquer un livre. Les Conseils suivants, je note sur le classeur l'évolution de la production de ce livre. Par exemple, le 19 septembre, il est décidé que pour la première et la quatrième de couverture on votera pour choisir les illustrations. La date est précisée.
Le quotidien de la classe entre au Conseil. Ce qui est dit au Conseil est fait. C'est un engagement de la maîtresse et des élèves. Il y a une trace dans le classeur de ce qui a été dit. À chaque nouveau Conseil, on relit ce qui a été décidé la semaine précédente.


2. Les élèves et la maîtresse s'approprient les Institutions.

Courant octobre
Le cahier de préparation commence à se remplir, mais pas à chaque fois. Il me semble qu'ils l'utilisent de mieux en mieux. Le Conseil a toujours lieu, au même endroit, le même jour.

Début décembre
Nous commençons un travail avec un plasticien qui nécessite une organisation précise concernant la préparation du matériel en début et fin de chaque séance de travail. Les enfants veulent de nouveaux métiers, mais n'ont plus d'idées. Je propose des métiers qui ont un rapport avec ce moment de classe mais aucun ne leur convient. On reporte le choix des métiers à la semaine suivante.
Joffrey demande alors à préparer le cahier du Conseil. J'élabore une fiche d'aide. À partir de ce Conseil-là, les élèves demandent des métiers liés au fonctionnement des Institutions (voir annexe 1). Parallèlement, j'essaie de mettre en place les ceintures de comportement, j'introduis une nouvelle rubrique au Conseil. Grâce à cette nouvelle institution, je prends conscience des limites du fonctionnement des gêneurs :
gêneur 2 fois dans une séance : Je sors de la séance 5 minutes.
gêneur 4 fois : Je travaille seul jusqu'à la fin de la journée.
gêneur 6 fois : Je n'ai plus de métier pendant une semaine.
Les élèves ne dépassent pas les 6 gêneurs. Les limites tiennent.

Début janvier
Deux enfants déménagent et Altun, primo-arrivant entre dans la classe. Il ne parle pas un mot de français. Pourtant, dès la deuxième semaine, il demande le métier de dire "Entrez !", une façon à lui d'entrer dans cette nouvelle classe. Altun, ne connaît pas toutes les lois de la classe ; il a remarqué que certains enfants se lèvent dans la classe sans demander l'autorisation. Il fait de même, je lui explique que pour l'instant il n'a pas le droit et qu'il faut lever la main. Quelques jours plus tard, au Conseil, des enfants se plaignent qu'Altun pousse dans le rang. On relit alors les règles de déplacement dans le rang. Laura demande la parole et dit "C'est normal qu'Altun ne connaisse pas tout, il n'était pas encore là."
Un avertissement est proposé et voté à la majorité. La date du Conseil est changée car le jeudi après-midi, Altun est avec la maîtresse CRI (2). Le Conseil a donc lieu le vendredi matin à 9 h 30. Je rajoute une rubrique à l'ordre du jour : les informations.

Au Quoi De Neuf ? , Nathalie amène une cassette audio des Whatfor. Elle propose de l'écouter. Au Conseil suivant, Nathalie s'est inscrite et en fait la demande. Pendant une séance d'Arts Plastiques, Amed intéressé lève la main et dit "Je propose que l'on essaie de..."
Un maître-mot du Conseil est réutilisé.
16 h 10 Amed commence son métier "Effacer le tableau".
16 h 15 Chaque enfant s'affaire à son ou ses métiers, tandis que d'autres terminent leur travail. Amed commence à préparer son éponge tandis que Christophe efface le tableau. Joffrey attend patiemment les brosses de Christophe. Gaëtan se hâte de ramasser les cahiers. Pendant ce temps, Emma range la bibliothèque et aide Sophie à comprendre comment ranger. Altun, demande de l'aide pour s'inscrire au cahier du Conseil. Les plus petits, Sene et Marielle, dessinent ou s'occupent silencieusement à leur place. La machine Classe est en marche.

Début février
Jusque-là, Sene n'a fait aucune demande de ceinture, c'est un "petit" CP. En quelques semaines, Sene s'engage dans la lecture. Il lit les consignes tout seul. Pour la première fois, Sene s'est inscrit au cahier de préparation du Conseil, il demande sa ceinture jaune.

Mars
Quoi De Neuf ? : Première présidence d'Amed
Je suis surprise de regarder un enfant présider une institution à ma place. C'est un moment important de la Classe. Après chaque présidence, on fait le bilan de la présidence.
Je demande alors à Amed comment il a fait : "Je t'ai regardé. J'ai essayé de faire comme toi."


3. Deux Conseils

Conseil du vendredi 7 mars 2003

Les enfants se mettent en place au coin bibliothèque qui est le lieu du Conseil et du Quoi De Neuf ? La disposition est en cercle. J'ouvre le Conseil.
Moi : vendredi 7 mars 2003, le Conseil commence, silence ! Je rappelle les Lois du Conseil : Ce qui est dit au Conseil n'est pas répété ailleurs. Je ne me moque pas. Gêneurs deux fois au Conseil, je sors du Conseil.
Ordre du jour du Conseil :
La dernière fois, on n'a pas eu le temps de faire "je propose". Donc

1. Relecture des décisions
2. Je propose
3. Je critique
4. Je remercie/ je félicite
5. Les métiers

1. Relecture des décisions du conseil précédent
Moi : "Chacun choisit un personnage de conte pour le Carnaval." C'est fait !

2. Je propose
Moi : les propositions. Amed
Amed : Je propose que moi, je propose que je revais à côté de Joffrey, parce qu'à chaque fois Christophe il me, il prend les affaires sans la permission et en plus il parle quand je travaille.
Christophe : Je parle pas quand il travaille.
Sene : Oui, c'est vrai avec Christophe parce que... quand Joffrey il se met à côté de Amed, il travaille avec eux deux.
Joffrey : Moi, Christophe il m'empêche à chaque fois de travailler parce qu'il me dit "la colle, la colle, la colle, la colle".
Moi : Christophe ?
Silence
Moi : Je me donne la parole. Si c'est un problème de colle, il va falloir faire des listes. Si c'est juste un problème de matériel, ce soir Christophe tu fais une liste.
Christophe : Non, mais c'est parce que des fois, avant j'avais pris de la colle chez moi, je l'avais mise dans mon cartable mais après je l'ai plus vue dans mon cartable.
Amed : Oui, mais moi c'est pas une question de matériel parce qu'à chaque fois, lui, il met ses affaires partout et moi j'ai plus de place. C'était bien à côté de Joffrey, on ne mettait pas les affaires n'importe où !
Christophe : Non, moi mes affaires je les mets de mon côté mais c'est toujours ses affaires. Par exemple, sa règle, ses stylos ça reste toujours de mon côté !
Indignation collective : Oh !
Joffrey : C'est pas vrai même Nathalie, il mettait ses affaires sur notre bureau à moi et Nathalie.
Nathalie : C'est que moi, quand je mets mon travail, eh bé j'en ai toujours, soit sa trousse de stylos, soit sa trousse de feutres et de crayons sur mon bureau. Et après, moi non plus, je n'ai pas beaucoup de place.
Christophe : Non, parce que c'est elle qui met ses affaires. Un moment elle pousse ma trousse. Quand elle met ses affaires de son côté, ici. Quand je pars en récréation, je retrouve la moitié de ses affaires sur mon bureau.
Sene : C'est pas vrai, il ment.
Joffrey : Nathalie, elle me gêne parce que c'est Christophe qui mettait ses affaires sur le bureau.
Christophe : Joffrey, il ment parce qu'il était à son bureau. Il avait toute la place, après il dit qu'il a pas la place.
Moi : Je me donne la parole. Christophe, je te rappelle qu'au mois de septembre, ça avait déjà été dit. On t'avait déjà dit que ton bureau n'était pas rangé et il y avait eu des changements de place à cause de ça. D'accord Christophe ? Ce n'est pas une histoire de mensonge mais pour l'instant tu ne sais pas encore bien ranger ton bureau. C'est pas la première fois qu'on te fait la remarque. Qu'est-ce que tu en penses ?
Silence
Nathalie : Même qu'en plein mathématiques, il avait ses dessins sur son bureau, et à cause de ça tu lui as pris son dessin et l'as mis sur ton bureau.
Moi : Je me donne la parole. On verra ce que ça donne la semaine prochaine. Alexis, qu'est-ce que tu proposes ?
Alexis : Je passe.
Moi : Altun propose quelque chose ?
Altun : Oui (Altun est arrivé depuis deux mois en France et commence à parler.)
Moi : Que proposes-tu ?
Silence
Moi : On passe ?
Altun : Je passe.

3. Je critique
Moi : Je critique
Alexis : Les métiers ! (sans demander la parole)
Moi : Alexis, gêneur une fois.
Moi : Alors, Amed critique Altun.
Amed : Je le critique parce qu'à chaque fois, il me tape à la récré.
Moi : Je rappelle que ça se règle en cours de récréation, il y a des maîtresses pour ça.
Moi : Joffrey critique Christophe.
Joffrey : Euh... je critique Christophe parce qu'il m'empêche de travailler. Quand il fait que me demander la colle.
Christophe : Mais... je passe.
Joffrey : Quand même sa mère lui a acheté de la colle ? Sinon, mais ça m'empêche de travailler.
Christophe : Des fois quand j'ai plus de colle, je demande à ma mère. Quand je la mets dans mon cartable, je ne la trouve plus. Parce que tu dis de ne pas amener les trousses.
Moi : Si ta colle était dans ton cartable, tu la trouverais.
Christophe : Oui, mais je l'avais pas vue quand je l'avais mis.
Amed : Mais, comme tu savais qu'il fallait mettre un mot sur le cahier. Il a pas écouté. Ça fait qu'il a plus de colle maintenant.
Christophe : Si, je l'ai mis le mot.
Moi : Je me donne la parole. Est-ce que tu as de la colle actuellement ?
Christophe : Oui, chez moi j'en ai.
Moi : Donc ce soir, sur le cahier de texte, tu écriras : amener la colle. C'est noté. Je le note en même temps sur le classeur.
Moi : Emma critique Christophe.
Emma : Je critique Christophe parce que des fois quand on est en rang il touche les cheveux.
Moi : Christophe ?
Christophe : Je touche pas ses cheveux !
Nombreux "Oh !" chuchotés.
Laura : C'est vrai parce qu'à chaque fois, il nous touche les cheveux.
Christophe : Je touche pas les cheveux puisque mon manteau je le mets toujours devant ou au fond. Mais eux, ils le mettent tout au fond.
Amélie : Moi aussi j'ai des noeuds. Après quand je rentre chez moi, on est obligé de les démêler.
Joffrey : Non, mais c'est vrai même qu'il touche les cheveux à Nathalie et à Emma.
Nathalie : Oui, il me touche les cheveux. Quand j'arrive à l'école, ils sont démêlés. Il me touche les cheveux. Et après, je vais chez moi, ils sont tous emmêlés. Déjà que mes cheveux c'est très difficile à les démêler. Alors !
Alexis : Oui, moi aussi des fois, il me touche les cheveux. Il me dit "Je vais te faire une belle coiffure".
Rires
Christophe : ...
Amélie : Moi, après quand je rentre chez moi, quand on est dans le rang il me touche les cheveux et puis après quand on rentre chez nous, on a pleins de noeuds.
Christophe : Je leur emmêle pas les cheveux.
Moi : Ils sont assez grands pour savoir si tu leur emmêles les cheveux. C'est important ce qui est dit parce que quand on a envie de toucher les cheveux de quelqu'un et que la personne n'en a pas envie c'est à respecter. Si elle te dit "Non, ne me touche pas les cheveux", elle n'a pas envie. Tu n'as pas à lui toucher ses cheveux.
Emma critique Alexis.
Emma : Je passe.
Moi : Joffrey critique Altun.
Joffrey : Je passe.

4. Je remercie / Je félicite
Moi : Christophe félicite Joffrey.
Christophe : Je passe.
Moi : Je félicite Marielle car elle réussit toute seule à écrire sur son cahier de texte.

5. Les métiers
Moi : Sont inscrits Joffrey, Amed, Christophe, Alexis et Laura.
Moi : Joffrey
Joffrey : Euh... Je demande le métier...
Moi : On passe. Amed.
Amed : Je demande un nouveau métier, c'est d'aider les CP à lire l'emploi du temps.
Moi : Comment tu vas faire pour les aider ?
Amed : Si ils bloquent je leur dirai comment faire chanter leurs lettres.
Altun : Un métier !
Moi : Il faut t'inscrire pour demander un métier.
Je lui montre le cahier.
Sene : Je sais déjà le faire.
Amed : Oui, mais des fois Marielle, elle bloque.
Amélie : Moi, j'ai pas besoin d'aide je sais lire.
Moi : Amed, métier à l'essai.
Moi : Alexis
Alexis : Je voulais demander le métier de distribuer les feuilles de CP.
Laura : C'est pas possible parce que quand tu travailles...
Sonnerie (15 h)
Moi : On en reparlera au prochain Conseil.

Relecture des décisions
Moi : Christophe écrira ce soir sur son cahier de texte d'amener la colle. Je déclare le Conseil du vendredi 5 mars terminé.
L'après-midi, Christophe amène sa colle et la range dans sa trousse.

Extraits du Conseil du vendredi 14 mars 2003

Moi : : Vendredi 14 mars 2003, en tant que présidente, je déclare le Conseil qui commence, silence. Je rappelle les Lois du Conseil : ce qui est dit au Conseil n'est pas répété ailleurs. Je ne me moque pas. Gêneurs deux fois au Conseil, je sors du Conseil.

Rappel des décisions de la semaine dernière :
Christophe as-tu réglé le problème de la colle ? Christophe : Oui.
Moi : C'est bon. On passe.

Ordre du jour
1. Je critique
2. Je remercie/ Je félicite
3. Les métiers
4. Les informations
5. Je propose

1. Je critique
Moi: Amélie critique Christophe.
Amélie : Euh! Je passe.
Joffrey : Je passe.
Moi : Nathalie critique Joffrey.
Nathalie : Je critique Joffrey parce que... Euh... je passe.
Moi : Laura critique maîtresse.
Laura : Je critique maîtresse parce qu'elle a ouvert la porte à la place de Marielle.
Moi : Je m'excuse.

2. Je remercie / Je félicite
Moi : Christophe remercie Nathalie.
Christophe : Je la félicite parce que je passe.
Moi : Je félicite Christophe parce qu'apparemment cette semaine ça c'est bien passé, il n'y pas eu de problème de rangement.
Nathalie : Ça s'est bien passé. À part ses trousses qui tombaient un petit peu sur mon bureau mais à part ça, ça va.

3. Les métiers
Moi : Bilan des métiers. Altun, est-ce que ça va ?
Altun : Oui.
Moi : Tu es inscrit, tu demandes un nouveau métier ?
Altun : Euh !
Joffrey : Il pourrait ranger la bibliothèque.
Altun : Ranger les cahiers de leçons.
Moi : Je me donne la parole, ces cahiers restent dans le bureau.
Sene : Gêneur
Sharazade : (inaudible à l'enregistrement).
Laura : Il peut distribuer les fiches au CP.
Altun : Non !
Moi : Alors, tu réfléchis pour la semaine prochaine.


4 . Relisons ces Conseils : "Un langage, une histoire, des coutumes, des objets" (3).

Lors de la transcription de la cassette, je me suis demandée : Qui parle en moi ? Muriel, la maîtresse, la présidente ?
Exercice difficile puisque toutes ces dénominations regroupent la même personne, notée ici "Moi". D'autres questions se sont posées : Lors du Conseil, quand dois-je intervenir ? Pourquoi telle intervention à tel moment ? Qui parle dans ces Conseils ?

Les changements
Amed propose de changer de place. À l'écoute de la cassette, Amed critique Christophe. Je laisse la discussion se développer et clôture par un aspect très matériel. Je sens bien qu'il y a autre chose derrière mais je décide d'en rester là, d'où le "On verra ce que cela donne la semaine prochaine."

En effet, quelques minutes plus tard, à "je critique" le problème n'a pas été résolu et revient sur le tapis. On passe du problème de la colle aux toucher des cheveux par Christophe. J'avais déjà remarqué qu'aux Quoi de Neuf ? Christophe touche facilement les cheveux d'Alexis mais celui-ci ne dit jamais rien. Plusieurs fois, j'ai envie d'intervenir mais le Quoi de Neuf ? se déroule, la parole est dirigée ailleurs. Ce jour-là en tout cas, la parole est adressée directement. J'ai besoin de dire à Christophe et aux autres enfants la nécessité de respecter le corps des autres. Ce qui se passe ensuite dans la classe, c'est un changement d'attitude d'Alexis qui ne se laisse plus faire et fait comprendre à Christophe qu'il doit arrêter. Christophe a encore tendance à s'étaler sur son bureau mais sa voisine veille à ce qu'il ne dépasse pas une certaine limite spatiale. Cette parole est importante. Lors des demandes de ceinture, deux Conseils plus tard, Christophe se trouve "coincé". Il ne peut pas avancer car il ne range pas son matériel. Le retour lui est fait au Conseil.

16 h 15 : La place des métiers
La place de chacun se construit d'abord par les métiers. Marielle qui ouvre la porte de la classe me rappelle les premiers temps que c'est à elle d'ouvrir la porte (que j'ouvrais machinalement), il en est de même pour le métier des lumières ou de distribution de feuilles. Je pense à Sophie qui n'a pas confiance en elle et qui prend des métiers de rangement de chaises de Conseil, de date, de tailler le crayons dont elle a besoin, besoin de se rassurer.
Je me surprends courant novembre, à regarder la classe à 16 h 15 : tous les enfants qui ont un métier à cette heure-là s'activent. Je me souviens qu'à un Conseil il avait fallu régler un problème d'organisation de nettoyage de tableau. Je me suis dit "chacun a SA place." C'était la première fois que je regardais la classe. La classe vivait, les enfants communiquaient entre eux.
Pendant ce temps-là, les enfants commencent à venir seuls s'inscrire au cahier de préparation du Conseil. Marielle met presque toute l'année à s'inscrire seule mais elle finit par le faire sans l'aide de sa voisine.

Le temps
En cours d'année, j'entends "je l'dirai au Conseil", "On l'a dit au Conseil." Futur et passé du Conseil se vivent au présent par la parole de chacun. Les journées n'ont plus le même temps, elles paraissent plus courtes, parce que dynamisées par un rythme.

L'espace
Lors du Conseil suivant la visite de la salle du Conseil municipal, il est décidé de disposer les tables du "coin atelier" comme celles vues à la Mairie, puisque l'on fait comme les grands.

Les limites, doutes et certitudes
Certains jours, je me sens fatiguée, je trouve les enfants énervés. La classe dérape-t-elle ? Je n'assure plus le cadre ? Ai-je peur de ne plus la contrôler ? Quelle part inconsciente des élèves et de moi-même s'exprime dans la classe dans ces moments-là ? Les institutions sont heureusement là, pour faire continuer la classe. Elles forment, elles aussi, des limites.

La classe qui grandit
Que lâche-t-on à chaque nouvelle présidence d'un enfant ? Une part du pouvoir. C'est un "pouvoir partagé parce que limité dans le temps et institutionnalisé."
Qui parle dans ces métiers de chaque enfant ? Quelle partie de leur histoire s'exprime ? Qui parle dans l'histoire d'une classe, d'une année ?
Une histoire collective s'est exprimée par des mots, des silences avant un Choix de dessins, des exclamations de joie ou de déception, mais elle est finalement acceptée par tous parce que la Loi est là, parce qu'un langage est né. Une histoire écrite par la parole qui s'inscrit dans la mémoire de chaque enfant et de l'institutrice et qui laisse une trace. Au Conseil, la classe s'est instituée, elle a grandi.

Muriel Prué
et le groupe Pédagogie Institutionnelle Gironde (2003)