Jacques Lévine vient de nous quitter,
voici un texte produit quelques jours avant son décès...
Une biographie de Jacques Lévine
o
Page "Jacques Lévine" sur le site de Jacques Nimier
o
Dossier "Hommage à J. Lévine" du "Café pédagogique"


Non à la disparition des aides spécialisées à l’école !

Le projet de la loi de finances qui  propose la suppression des postes spécialisées ne me paraît pas sérieux, et relève d’une méconnaissance de ce que sont les difficultés possibles qu’un enfant peut rencontrer dans ses apprentissages. Notre Ministre, s’il soutient cette mesure, risque de se laisser prendre à son jeu d’apprenti sorcier. Dans ce poème de Goethe mis en musique par Paul Dukas, un apprenti sorcier tente d'animer un balai pour que ce dernier effectue la besogne que son maître, parti faire une course, lui a assignée. Il réussit à animer le balai mais celui-ci s'emballe et le héros ne sait plus comment l'arrêter et le fend donc avec une hache. Le balai s'arrête sur le moment, mais les morceaux forment chacun un nouveau balai et la ronde repart de plus belle. L'apprenti, qui avait déjà du mal à contrôler un balai, doit maintenant faire face à des centaines de balais. Le sorcier arrive enfin et répare les dégâts provoqués par l'apprenti.

Mr Darcos vise-t-il une multiplication de ces "classes batailles" où les enfants sont dans l’opposition, dans une colère, avec un sentiment d’injustice ? L’échec scolaire, même minime, désapproprie l’enfant d’une partie de son Moi. Le Soutien au soutien est fondé sur l’idée que l’enfant a besoin de saisir ce qui se passe en lui dans les moments où il est en rupture avec le milieu scolaire. Il a besoin de saisir, comme dans un miroir, ce dont il est victime, et surtout, de se sentir reconnu dans le dommage qu’il subit. La vie est une bataille avec des forces positives et négatives, et l’enfant a parfois besoin d’être accompagné pour découvrir ces forces positives, pour faire face à l’adversité, inhérente  à tout parcours scolaire.
À partir de là, il a besoin que nous regardions de près la nature de ces dommages. L’une des méthodes pour y parvenir est le retour à ce qui s’est passé dans le milieu familial ou scolaire, ou intime, et à partir de cette marche en arrière, il peut devenir possible de pratiquer une marche en avant pour organiser une dimension positive du moi. Si on ne fait pas ça, on enlève aux enfants une substance essentielle : l’espoir d’une plus-value, de retrouver une considération en eux-mêmes.
L’aide spécialisée est une écoute de ce qui s’est cassé, de la partie "accidentée" du Moi, sans connotation péjorative, pour engager un travail de réparation en s’appuyant sur la partie intacte du Moi et à partir de l’établissement d’une relation de coopération.
Alors que les rééducateurs, de par leur formation, et la conception même de leur travail, connaissent ces dysfonctionnements réels ou potentiels, les institutionnels considèrent ces dysfonctionnements comme secondaires, susceptibles d’améliorations ultra rapides, et pouvant être prises en charge par des personnes formées selon des normes de transmission qui s’avèrent inefficaces lorsqu’il faut les moduler. Le risque est la dévalorisation de l’enfant si on ne lui permet pas de puiser les atouts qui sont en lui, et ce sont des opérations qui ne sont pas reversibles.
Le Ministre de l’Éducation nationale parlait de redonner confiance à l’élève en difficulté à travers les actions de soutien mises en place par les enseignants, mais on ne permettra qu’un artefact de confiance en soi si on s’en tient à une approche comportementaliste, sans travailler à une réappropriation du Moi, et pas seulement le Moi scolaire. Qui va accompagner ces enfants qui se trouvent devant un système d’appartenance scolaire si éloigné du système familial, qu’ils ne peuvent s’y inscrire ? Ils arrivent avec de la honte ou de l’arrogance, et ce n’est pas un soutien basé sur le scolaire qui va les aider. Ils ont besoin que des adultes reconnaissent leurs appréhensions, et c’est en posant ce regard sur eux que les rééducateurs vont ouvrir des pistes de travail. Il faut "envisager", regarder ce qu’il y a sous ces comportements.  On ne peut occulter le vécu des enfants, ni le considérer comme une fatalité : "ça passera" . Nous connaissons le risque possible : "ça cassera" !

Vouloir faire l’économie des rééducateurs et de leurs savoirs, de leur connaissance précise des obstacles que rencontrent les enfants ne peut que mener à des impasses et aboutir à un résultat exactement inverse de celui qu’on fait miroiter.
Il est possible de recenser les outils de prévention, et les outils de remédiation des personnels spécialisés pour voir combien ils feront défaut à l’école toute entière, et aux élèves les plus en difficulté. Ce sont des dispositifs qui s’appuient sur une acceptation de l’autre tel qu’il est, pour construire avec lui et les partenaires éducatifs un projet qui permettra de l’accompagner dans son devenir d’élève.
Il est encore temps d’abandonner ce projet de liquidation et d’envisager, avec toutes les parties intéressées, une concertation sérieuse en ne se souciant que du profit des enfants, et non de celui que l’administration pourrait en tirer.

Jacques LEVINE.
Vendredi 3 octobre 2008



Accueil

Bibliographie

Formation

Le PIG

Liens

Monographies

Publications

Textes - Outils

Voisinage