Non à la disparition des aides spécialisées à l’école !Le
projet de la loi de finances qui propose la suppression des
postes spécialisées ne me paraît pas sérieux, et relève d’une
méconnaissance de ce que sont les difficultés possibles qu’un enfant
peut rencontrer dans ses apprentissages. Notre Ministre, s’il soutient
cette mesure, risque de se laisser prendre à son jeu d’apprenti
sorcier. Dans ce poème de Goethe mis en musique par Paul Dukas, un
apprenti sorcier tente d'animer un balai pour que ce dernier effectue
la besogne que son maître, parti faire une course, lui a assignée. Il
réussit à animer le balai mais celui-ci s'emballe et le héros ne sait
plus comment l'arrêter et le fend donc avec une hache. Le balai
s'arrête sur le moment, mais les morceaux forment chacun un nouveau
balai et la ronde repart de plus belle. L'apprenti, qui avait déjà du
mal à contrôler un balai, doit maintenant faire face à des centaines de
balais. Le sorcier arrive enfin et répare les dégâts provoqués par
l'apprenti.
Mr Darcos vise-t-il une multiplication de ces
"classes batailles" où les enfants sont dans l’opposition, dans une
colère, avec un sentiment d’injustice ? L’échec scolaire, même minime,
désapproprie l’enfant d’une partie de son Moi. Le Soutien au soutien
est fondé sur l’idée que l’enfant a besoin de saisir ce qui se passe en
lui dans les moments où il est en rupture avec le milieu scolaire. Il a
besoin de saisir, comme dans un miroir, ce dont il est victime, et
surtout, de se sentir reconnu dans le dommage qu’il subit. La vie est
une bataille avec des forces positives et négatives, et l’enfant a
parfois besoin d’être accompagné pour découvrir ces forces positives,
pour faire face à l’adversité, inhérente à tout parcours scolaire.
À partir de là, il a besoin que nous regardions de près la nature de ces
dommages. L’une des méthodes pour y parvenir est le retour à ce qui
s’est passé dans le milieu familial ou scolaire, ou intime, et à partir
de cette marche en arrière, il peut devenir possible de pratiquer une
marche en avant pour organiser une dimension positive du moi. Si on ne
fait pas ça, on enlève aux enfants une substance essentielle : l’espoir
d’une plus-value, de retrouver une considération en eux-mêmes.
L’aide
spécialisée est une écoute de ce qui s’est cassé, de la partie
"accidentée" du Moi, sans connotation péjorative, pour engager un
travail de réparation en s’appuyant sur la partie intacte du Moi et à
partir de l’établissement d’une relation de coopération.
Alors que
les rééducateurs, de par leur formation, et la conception même de leur
travail, connaissent ces dysfonctionnements réels ou potentiels, les
institutionnels considèrent ces dysfonctionnements comme secondaires,
susceptibles d’améliorations ultra rapides, et pouvant être prises en
charge par des personnes formées selon des normes de transmission qui
s’avèrent inefficaces lorsqu’il faut les moduler. Le risque est la
dévalorisation de l’enfant si on ne lui permet pas de puiser les atouts
qui sont en lui, et ce sont des opérations qui ne sont pas reversibles.
Le
Ministre de l’Éducation nationale parlait de redonner confiance à
l’élève en difficulté à travers les actions de soutien mises en place
par les enseignants, mais on ne permettra qu’un artefact de confiance
en soi si on s’en tient à une approche comportementaliste, sans
travailler à une réappropriation du Moi, et pas seulement le Moi
scolaire. Qui va accompagner ces enfants qui se trouvent devant un
système d’appartenance scolaire si éloigné du système familial, qu’ils
ne peuvent s’y inscrire ? Ils arrivent avec de la honte ou de
l’arrogance, et ce n’est pas un soutien basé sur le scolaire qui va les
aider. Ils ont besoin que des adultes reconnaissent leurs
appréhensions, et c’est en posant ce regard sur eux que les
rééducateurs vont ouvrir des pistes de travail. Il faut "envisager",
regarder ce qu’il y a sous ces comportements. On ne peut occulter
le vécu des enfants, ni le considérer comme une fatalité : "ça passera"
. Nous connaissons le risque possible : "ça cassera" !
Vouloir
faire l’économie des rééducateurs et de leurs savoirs, de leur
connaissance précise des obstacles que rencontrent les enfants ne peut
que mener à des impasses et aboutir à un résultat exactement inverse de
celui qu’on fait miroiter.
Il est possible de recenser les outils
de prévention, et les outils de remédiation des personnels spécialisés
pour voir combien ils feront défaut à l’école toute entière, et aux
élèves les plus en difficulté. Ce sont des dispositifs qui s’appuient
sur une acceptation de l’autre tel qu’il est, pour construire avec lui
et les partenaires éducatifs un projet qui permettra de l’accompagner
dans son devenir d’élève.
Il est encore temps d’abandonner ce projet
de liquidation et d’envisager, avec toutes les parties intéressées, une
concertation sérieuse en ne se souciant que du profit des enfants, et
non de celui que l’administration pourrait en tirer.
Jacques LEVINE.
Vendredi 3 octobre 2008