Guy
HERVÉ, rééducateur
DEUX HEURES DE SOUTIEN EN PLUS,
TROIS MILLE ENSEIGNANTS SPÉCIALISÉS EN
MOINS
Des élèves en difficulté
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Mathieu
: « Toujours agité, en mouvement, en sueur. Crie beaucoup. Cette
attitude bouillonnante le fait régresser. Pourtant il a des capacités.
» Aïsha : « Après l’arrêt de l’aide pédagogique spécialisée, on dirait
que tout s’écroule, elle réussit parfois mais elle a trop peur de
s’engager. » Pierre : « Aucune évolution : il s’oppose… il semble
clairement décidé à ne pas grandir. » Romain : « Rien ne l’intéresse…
quand il produit quelque chose, c’est pour faire plaisir à l’adulte.
» Élodie : « Aucun progrès, excitation extrême, ne tient pas
en
place, cherche en permanence à casser le cadre. »
J’ai ouvert les
dossiers d’élèves avec lesquels je pratique l’aide rééducative au sein
d’un RASED 1. Voici, au hasard, les contenus des demandes d’aide
communiquées par les enseignants lors des concertations partagées avec
mes collègues psychologues scolaires et enseignants chargés des aides
pédagogiques spécialisées. Les enfants dont il est ici question ne sont
pas des monstres de foire. Plusieurs parmi eux avaient consulté, sans
suite, divers spécialistes du secteur privé.
Des RASED, des rééducateurs, des maîtres E
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Il
s’agit ici d’enfants qui n’adoptent pas les comportements attendus par
l’école. Des enfants pour lesquels l’école ne fait pas sens, des
enfants échouant à être élèves et dépourvus du désir d’apprendre.
Trouver le chemin des apprentissages requiert pour eux un travail
particulier. Un travail « pédagogique » au sens littéral du terme : un
accompagnement des enfants vers l’école. Depuis plus de 40 ans, les
rééducateurs assurent cette fonction particulière et complexe. J’exerce
cette fonction. Je travaille en individuel ou petits groupes, pendant
le temps scolaire, avec des techniques auxquelles j’ai été formé, par
l’institution et par des démarches personnelles. Les enfants cités plus
haut, ont (re)trouvé à l’école un statut d’élève. J’ai travaillé avec
eux, avec les parents, avec les enseignants. Nous avions ensemble
élaboré des projets d’aide. Mais notre Ministre n’a probablement jamais
lu un tel document…
J’aurais pu commencer par des situations moins
alarmantes. Des enfants qui semblent « vouloir » apprendre mais pour
lesquels le soutien apporté en classe n’opère pas ou si peu. Ces élèves
relèvent d’aides pédagogiques spécialisées. Par petits groupes,
plusieurs fois par semaine, ils travaillent avec des enseignants
spécialisés dits maîtres E. Cette démarche professionnelle utilise des
techniques spécifiques. Il ne s’agit pas d’un travail de soutien, de
répétiteur. La « remédiation pédagogique », ça s’apprend ! Mais notre
Ministre n’a probablement pas connaissance des productions et projets
mis en forme au fil des semaines par les maîtres E…
Une Loi de Finance, deux heures de soutien
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Peut-être notre ministre n’a-t-il d’yeux que pour la Loi de Finance ?
Celle
de 2009 supprimerait 3000 postes d’enseignants spécialisés dès la
rentrée prochaine. Pour les « réaffecter » dans des classes ?
Dans lesquelles on regrouperait peut-être des enfants de ce type ?
Actuellement, ces élèves quittent leur classe moins d’une heure ou deux
par semaine. Dans l’hypothèse de classes fermées, nous serions les
seuls en Europe à revenir à des pratiques ségrégationnistes réfutées
par tous les professionnels de l’éducation.
On pourrait aussi «
réaffecter » les enseignants spécialisés dans des classes pour
handicapés, CLIS et autres UPI. Dans cette hypothèse, que deviennent
les élèves aujourd’hui pris en compte par les spécialisés ? Notre
Ministre a pensé à tout : ils feront deux heures de soutien…
Cherchez
l’anomalie : on crée les deux heures de soutien, sans lésiner sur la
médiatisation et simultanément on supprime 3000 postes spécialisés ! Où
est le problème, me direz-vous ? Pourquoi utiliser des «
spécialisés » pour prendre en charge des élèves en difficulté alors
qu’ils sont TOUS pris en compte par les enseignants le soir après la
classe… ou à l’heure du déjeuner ? Vu de la machine à café de TF1,
l’affaire est limpide : on s’occupe enfin des élèves en difficulté sur
tout le territoire.
Sauf que…
Faire savoir
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Sauf que,
vous l’aurez compris, la difficulté scolaire requiert de vrais
professionnels ! Les enseignants spécialisés s’adressent à des enfants
particuliers tels ceux évoqués plus haut. Aucun acteur de l’éducation
ne croit que ces élèves investiront l’école par le processus des deux
heures supplémentaires ! Peu à peu, les parents vont le comprendre car,
sur tous les tons, nous allons démonter cette escroquerie. À terme,
même la machine à café de TF1 n’y croira plus. Seul le Ministre
peut-être…
Je travaille chaque année avec une trentaine de Mathieu,
Aïsha, Pierre ou Aurélie. Ils n’auraient jamais trouvé leur place à
l’école sans mon intervention aux côtés des enseignants et des
familles. Sur ces bases, puisqu’il adore ça notre Ministre, qu’il fasse
les calculs. 11700 spécialisés, en moyenne 30 élèves suivis…. Nous
parlons donc de plus de 300000 élèves qui, une fois les RASED
démantelés, resteront sur le bord du chemin.
Les professionnels savent. Les parents, c’est une autre affaire.
Alors,
sur tous les tons, auprès de tous les médias, faisons savoir : le
démantèlement des RASED est catastrophique, les deux heures de soutien
ne peuvent et ne pourront JAMAIS aider les élèves qui relèvent d’aides
spécialisées. Sauf bien sûr si notre Ministre lui-même les prend en
charge…
1. RASED : Réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté
Ouvrages de Guy HERVÉ
Intervenir en RASED. Histoires de Pierre, Paul et Hugo, Bordas 2000,
préface de Philippe MEIRIEU
Enfants en souffrance d’apprendre, l’aide rééducative à l’école,
L’Harmattan 2006, préface de Mireille CIFALI