Guy
HERVÉ, rééducateur
IL S'EST TU, LONGTEMPS...
Texte lu le 4 novembre devant l’Assemblée nationale pendant le vote du budget de l’Éducation Nationale.
...notre Ministre parle peu des RASED.
o
Alors,
un projet de Loi de Finance nous a informés le mois dernier de notre
piteuse situation : 3000 postes d'enseignants spécialisés sur 9000
passés à la trappe. À l'époque, mises à part ces données chiffrées,
rien de clair sur le devenir de ces 3000 d'entre nous.
Lesquels ?
Pour devenir quoi ?
Mystère.
Puis,
dans les jours suivants, par le jeu de rumeurs soigneusement
organisées, nous avons appris que ces 3000 exerceraient leurs
compétences par une sédentarisation, dans des classes où les besoins
seraient importants. Alors diverses hypothèses ont émergé : retour des
classes de perfectionnement, retour des classes d'adaptation ?
Après
les rumeurs vinrent les « fuites », là encore savamment distillées :
nous apprenions ainsi qu'au Ministère de l'Education Nationale, le
jeudi 16 octobre, les Inspecteurs d'Académie s'étaient vu confier pour
mission :
− de dissoudre en 3 ans les RASED,
− de sélectionner les 3000 à leur gré, sans aucun critère précis,
− d'envoyer les 3000 devant des classes dites normales,
− de « flécher » ces postes en donnant aux enseignants « sédentarisés » une mission particulière sur l’école.
Des
rumeurs, des fuites... décidément notre Ministre restait peu loquace.
Le soir de la manif parisienne du 29 octobre, il était sur TF1. Le
reportage diffusé montrait les personnels de RASED en tête de manif. M.
DARCOS choisit d'évoquer les réformes du lycée à venir. Suivirent
d'autres rumeurs : l'information vraie, fausse, allez savoir de 9
départements pilotes dans lesquels seraient supprimés non pas un tiers
des enseignants spécialisés mais la totalité des effectifs.
L'information
vraie, fausse, allez savoir, de certains I.A. annonçant qu'ils
supprimeraient en priorité les rééducateurs ou les maîtres
d'adaptation. L'information vraie, fausse, allez savoir, de réouverture
de classe d'adaptation dans lesquelles seraient placés d'office les
enseignants sédentarisés. Il est stupéfiant que nos destinées
professionnelles dérivent ainsi depuis des semaines sur les flots de
rumeurs floues et contradictoires. Nous n'avions jamais été traités à
ce degré de mépris : il s'agit quand même de notre quotidien social,
d'identités professionnelles toujours définies dans les Instructions
Officielles. Et, derrière nous, de milliers d'élèves en difficulté dont
le sort nous préoccupe !
PUIS IL A PARLÉ !
o
Oui,
ENFIN, notre Ministre s'est exprimé la semaine dernière. Lorsqu'il fut
interpellé en ces termes par M. Le Roux, député : « Au moment où vous
prétendez lutter contre l’échec scolaire, cette mesure, qui annonce la
suppression pure et simple des RASED, va de fait priver des dizaines de
milliers d’élèves des aides spécialisées mises en oeuvre dans le cadre
de pédagogies différenciées, aggravant ainsi les inégalités entre les
élèves. »
Première partie de la réponse de notre Ministre, in extenso :
«
Examinons la situation objectivement ! Nous sommes dans une classe de
l’école primaire où les élèves suivent un cours de français. Ils
étudient le passé composé et l’un d’eux éprouve une très grande
difficulté à suivre. Cet élève a besoin que son professeur puisse le
voir un quart d’heure ou une demi-heure dans la même journée pour lui
expliquer ce qu’il n’a pas compris. Il n’a pas besoin qu’on lui dise
que, dans deux ou trois jours, quelqu’un le prendra séparément pour lui
expliquer ce
qu’est le passé composé pendant que le reste de la classe apprendra l’imparfait ! »
Monsieur
le Ministre, nous sommes atterrés par cette réponse ! Un comique
professionnel n'aurait pas fait mieux. Votre silence, pour méprisant
qu'il fut, eût été préférable à cette surréaliste déclaration. Lorsque
je dis « NOUS... sommes atterrés », j'intègre à ce « nous » l'ensemble
des enseignants. Tous savent qu'il ne sert à rien de « réexpliquer » à
certains élèves tel ou tel contenu d'apprentissage pour déjouer une
difficulté d’acquisition. J'intègre également à ce « nous » tous les
parents auxquels vous vous adressez en énonçant des fariboles aussi
simplifiantes. Eux aussi, ces parents, se sont heurtés à l’inefficacité
de cette méthode archaïque. J'intègre enfin à ce « nous » l'ensemble
des enseignants spécialisés dont vous caricaturez ad nauseam le rôle et
la mission.
Désolé, Monsieur DARCOS, vous n'avez rien compris à
la difficulté scolaire. Auriez-vous conçu de telles représentations en
écoutant vos conseillers entre midi et deux, avant le repas ? Ou le
soir, une petite demi-heure après votre journée de travail ? A l'image
du dispositif choc initié sur tout le territoire pour gérer les
difficultés des enfants à l'école ?
N'importe quel éducateur
(parent, enseignant) sait ce que vous ignorez : un enfant n'est pas un
entonnoir dans lequel on déverse des contenus à la chaîne, des contenus
qu'il acquiert sourire aux lèvres. Un enfant qui ne comprend pas le «
passé composé » rencontre cette difficulté pour diverses raisons
personnelles. Des raisons parfois reliées à d’autres notions qu'il
convient d'identifier, parfois reliées à des résistances propres à sa
personnalité, à son désir d’apprendre... La difficulté scolaire se joue
sur une partition bien plus complexe que la simple difficulté passagère
de compréhension.
Enfin, pour rappel, les RASED travaillent sur la
difficulté scolaire installée, celle qui s'amorce longtemps avant le
jour où l'on aborde « le passé composé » ! Même votre exemple est mal
choisi ! Les difficultés émergent dès la maternelle. Les enseignants et
les RASED agissent dès la maternelle. Et là encore, rumeur pour rumeur,
n'allez pas croire qu'il suffira de supprimer la maternelle pour
supprimer les difficultés !!!
Mais, décidément en verve ce jour-là, vous avez poursuivi :
«
Monsieur le député, je ne crois pas – il serait absurde et improductif
de dire le contraire – que la solution unique à l’échec scolaire soit
de le traiter d’une manière considérée aujourd’hui comme
psychologisante ou médicalisante. Dans votre département, il y a 338
maîtres E1, mais la question de l’échec scolaire est-elle pour autant
complètement réglée ? Nous avons donc demandé à tous les enseignants,
sans exception, de prendre en charge une partie de l’échec scolaire –
deux heures pendant leur service. Alors, évidemment, il y a des cas
psychologiques, des situations extrêmement difficiles, je ne le
conteste pas, aussi n’avons-nous pas touché aux psychologues scolaires.
»
M. DARCOS, il y a quelques semaines, vous aviez pris d'assaut
les mouvements pédagogiques responsables des fameux 15% d’échec ! Vos
Inspecteurs nous l’expliquent depuis la rentrée : peu importe la
pédagogie, seul compte le résultat ! Sus à la pédagogie, donc ! Et
désormais, histoire de faire bon poids, sus aux approches «
psychologisantes » ! Évidemment, la pédagogie jetée aux orties, la
psychologie dans les ronces, nous autres, maîtres spécialisés… Avec
notre abord psychopédagogique de l’élève en difficulté ! Nous sommes en
mauvaise posture ! Enfin... guère plus que les enseignants qui seront
tentés par vos perspectives mécanistes !
À vous entendre,
finalement, les approches spécialisées ne concerneraient que quelques «
cas psychologiques » à traiter par les psychologues scolaires. Quelle
méconnaissance du terrain ! Quelle méconnaissance des réalités de nos
professions, de nos fonctions ! Quelle méconnaissance des enfants !
Oui, quel mépris pour ces élèves, ceux pour lesquels l'accès à la
culture suppose un cheminement dont vous ne soupçonnez même pas la part
de souffrance !
Monsieur le Ministre, puissiez-vous nous
recevoir pour quelques séquences « d’aide personnalisée ». Nous
souhaiterions tant vous expliquer…
… Vous expliquer ce qu'est la
difficulté d'apprendre, ce qu'elle mobilise chez un individu dans des
sphères personnelles, intellectuelles et sociales.
… Vous expliquer
que nos approches spécialisées sont le fruit de décennies de recherches
théoriques et pratiques, des savoirs qu’on ne peut balayer d’un revers
de main.
…Vous expliquer surtout une nuance à ce jour opaque dans
votre esprit : ce n'est pas à cause de nos interventions spécialisées
que le taux d'échec scolaire est à 15% mais grâce à elles qu'il n'est
pas bien plus élevé !
Pour conclure, vous dire par la voix de
Jacques LÉVINE, que faire l’économie de nos actions « ne peut que mener
à des impasses et aboutir à un résultat exactement inverse de celui
qu’on fait miroiter, (…) qu’il est encore temps d’abandonner ce projet
de liquidation et d’envisager, avec toutes les parties intéressées, une
concertation sérieuse en ne se souciant que du profit des enfants, et
non de celui que l’administration pourrait en tirer. »
Ouvrages de Guy HERVÉ
Intervenir en RASED.
Histoires de Pierre, Paul et Hugo, Bordas 2000,
préface de Philippe MEIRIEU
Enfants en souffrance
d’apprendre, l’aide rééducative à l’école,
L’Harmattan 2006, préface de Mireille CIFALI