Bref compte rendu de la première réunion de coordination de « L’appel des appels »
31 janvier 2009, au CentQuatre, 104 rue d’Aubervilliers, Paris
Plus
de 50 000 signatures à la veille de la réunion, 61 000 aujourd’hui, une
salle restée comble tout au long de la journée (500 personnes à
l’intérieur, une centaine à l’extérieur), la mobilisation était
visible, comme l’était le désir de parler, d’échanger, de participer à
ce projet de « coordination » ou de « fédération » des mouvements
réunis par l’appel. Pour quelles suites et quelles actions ? C’est là
que les questions demeurent posées…
Matinée
Le
programme fut respecté, avec une dizaine d’interventions par secteurs
professionnels et généralement plusieurs intervenants pour chaque
secteur. Les organisateurs travaillant avec les initiateurs de l’appel,
Roland Gori
et Stefan Chedri, étaient (plus ou moins) présents à la tribune.
Peut-être y eut-il un certain manque de visibilité des modalités
organisationnelles ayant précédé ou structuré cette journée, ce qui
semble avoir facilité certains fantasmes (manipulation par un parti ou
un groupe constitué) et certaines déceptions (par exemple, de ne pas
repartir avec mots d’ordre et projets d’actions précisément définis).
• Les interventions :
1. « Qu’est-ce qui ne va pas dans l’information ? » avec Élisabeth Weissman, Edwy Plenel et Cécile Brousse.
2. « Qu’est-ce qui ne va pas dans la culture ? » avec Robert Cantarella, Marie-Josée Mondzain, Licia Eminenti, Denis Geerbrandt.
3. « Qu’est-ce qui ne va pas dans la justice ? » avec Serge Portelli, David de Pas.
4.
« Qu’est-ce qui ne va pas dans la prévention et le médico-social ? »
avec Marie-Laure Cadart, Laurence Croix, Christine Bellas-Cabane,
Laurent Muchielli.
5.
« Qu’est-ce qui ne va pas dans l’éducation ? » avec Philippe Meirieu,
Alain Refalo, Zahra Boudjemaï, Muriel Michelin, Christian Laroche.
6.
« Qu’est-ce qui ne va pas dans la recherche et l’université ? » avec
Alain Abelhauser, Isabelle This Saint-Jean, Vincent Estellon.
7.
« Qu’est-ce qui ne va pas dans l’hôpital et le soin “somatique” ? »
avec Claude Egullion, Marie-José Del Volgo, Didier Dreyfuss.
8.
« Qu’est-ce qui ne va pas dans le soin psychique et la santé mentale ?
» avec Laurent le Vaguerèse, Nathalie Georges-Lambrichs, Tristan Garcia-Fons, Franck Chaumon.
Je
ne reviens pas sur les contenus des interventions, pour cela on peut
consulter les sites ou pétitions des différents mouvements dont la
liste figure sur le site de « L’appel des appels ». Toujours sur ce
même site, d’autres contributions devraient être mises en ligne
prochainement et compléter les interventions radiophoniques et les
interviews qui s’y trouvent actuellement.
Les
propos des différents rapporteurs montrèrent que dans tous les champs
professionnels évoqués ce qui est menacé de destruction est bien ce qui
« fait la valeur de l’expérience humaine » comme dit F. Benslamma. Les
intervenants insistèrent tour à tour sur la précipitation des réformes
engagées, sur la disparition programmée du secteur non marchand dans
lequel se déployaient à l’origine les services publics, sur la
nécessité de revisiter l’histoire récente (les destructions en cours
n’ayant pas débuté avec l’élection du petit nicolas…), sur
l’application à l’humain d’un modèle économique qui montre sa faillite
dans son propre secteur, sur la nécessité de lutter contre les « mises
en concurrence » pour retisser du lien social et restaurer ce qui fait
communauté, sur l’importance des valeurs qui fondent la possibilité du
collectif.
Après-midi
L’après-midi
fut consacré pour sa majeure partie à de nouveaux témoignages qualifiés
de « spontanés ». Et cette fois l’horaire fut plus difficilement tenu…
Le principe annoncé était l’inscription auprès d’un « référent » pour
chaque thème d’intervention du matin. Celui-ci étant ensuite chargé de
présider la séance de prises de parole. L’exercice de la présidence fut
à géométrie variable et contribua, je crois, à rendre le dialogue plus
difficile. La tonalité de l’après-midi oscilla entre l’enthousiasme et
l’appel à la réflexion, quelques jolies envolées hystériques et
quelques moments un peu « foutraques ». Il m’a semblé que, dans
l’ensemble, les prises de parole les plus revendicatives étaient les
plus applaudies (« ne pas rentrer chez soi après le 29 janvier », «
grève générale » et même la proposition que « révolution n’est plus un
mot obscène »). Mais il faut sûrement laisser leur part aux phénomènes
groupaux, l’illusion a un bel avenir…
Je
crois que nous avons entendu plusieurs choses. La souffrance et le
chagrin de professionnels voyant leur métier déconstruit, leur dignité
déniée, le sens de leur travail déconstruit, mais aussi la volonté de
ne pas laisser faire et le désir de partager les expériences et les
luttes en cours.
C’est
en fin de journée, au moment où s’abordait la question du « Que faire ?
» que les confrontations se firent plus vives. Roland Gori, dans la
logique de ce qu’il a dès le départ annoncé, a déclaré qu’il s’agissait
de se donner du temps, de ne pas agir dans la même logique de
l’immédiateté que ceux que nous combattons, de continuer les analyses
transversales… au risque de décevoir. Les réponses venues de la salle
furent alors parfois virulentes, accusant les organisateurs de trahir
l’espoir qu’ils avaient eux-mêmes suscité. Peut-être faut-il prendre en
compte la diversité des situations. Le rapport entre temps de réflexion
et temps d’action n’est pas forcément le même pour qui ne voit pas sa
situation quotidienne personnelle remise en cause et pour un enseignant
désobéisseur à qui l’administration retire deux jours de salaire chaque
semaine (A. Refalo). Si la question des choix stratégiques n’a pas été
tranchée, celles des choix tactiques n’a pas fait l’unanimité non plus.
Là où certains (R. Gori) insistaient sur la nécessité de conduites d’«
inservitude volontaire », d’autres réclamaient des actes de «
désobéissance ».
J’ai
compris cette réunion de coordination comme se voulant un moment
d’échanges, de réflexion et de participation aux processus instituants
en cours. L’éventuelle coordination ou fédération sera l’œuvre de qui
s’y engagera…
Et ensuite ?
Le
communiqué publié dimanche 2 février en fin de journée se terminait par
des propositions pour continuer le mouvement initié début janvier :
«
Soucieux de poursuivre la mobilisation en cours, de répondre aux
attentes manifestées le 31 janvier, l'appel des appels a décidé de :
•
se constituer en collectif apte à se donner les moyens de rassembler,
de mutualiser et de donner écho à tous les phénomènes de résistance qui
se développent ici et là contre cette normalisation sociale ;
• poursuivre la mobilisation des 58 000 signataires en portant le débat éthique dans l'opinion ;
•
soutenir la création de Comités Locaux d'échanges, de réflexions et
d'actions transversales aux secteurs socio-professionnels qui se sont
exprimés le 31 janvier pour permettre une mutualisation des analyses et
des moyens ;
•
réorganiser progressivement le site de l'Appel des appels afin d'en
faire tout autant une base de données et de témoignages qu'un lieu
d'échanges et de dialogues (Forum) ;
•
programmer une nouvelle journée de rencontre, de travail et de partage
des expériences le 21 mars 2009 dont le lieu et le programme
seront précisés ultérieurement. »
En
début de journée, Alain Abelhauser avait cité Corneille (en insistant
sur les deux derniers vers, moins connus que les précédents
pensait-il…) :
Nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort
Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port
Tant, à nous voir marcher avec un tel visage
Les plus épouvantés reprenaient de courage !
Le Cid, acte IV, scène 3